Il n’y a que des vieux et des morts dans votre blog, direz-vous. Alors, je vais vous parler de Marie.
Marie est professeur de français depuis une douzaine d’année dans un collège « sensible » de la banlieue lilloise, premier de l’Académie pour les exclusions d’élèves. Comme disait un de mes jeunes collègues, elle est « au front ». Cette année, quand je lui ai demandé son témoignage pour une journée de CdEP (Chrétiens dans l’Enseignement Public), je craignais qu’elle ne refuse, après quelques autres qui m’avaient dit – et cela est déjà significatif – : avec ce que je vis actuellement dans mon école, dans mon bahut, dans ma circonscription je n’ai pas très envie de témoigner…
Bravement, Marie a accepté, tout en disant qu’elle comprenait les précédents.
Si tu me l’avais demandé l’année dernière, j’aurais sans doute refusé, mais cette année est plutôt bonne, alors…
Marie raconte qu’elle se demandait, en arrivant dans ce collège, comment ses collègues avaient pu tenir 15 ans. Et maintenant, j’y suis presque !
Ce qui l’horrifiait alors, maintenant elle parvient à s’en amuser : Je ne peux plus leur parler d’Homère, ils se mettent à parler d’Omer Simpson, et quand il s’agit de la guerre de Troie : « Ah ! oui, ils ont battu Auxerre hier soir ».
Pour ses élèves, leurs profs ne peuvent être des vrais profs, ils ne peuvent pas avoir un vrai bac, de vrais diplômes comme les profs des vrais collèges. Ils sont au rebut, comme eux-mêmes. Comme il est difficile alors de leur donner confiance en eux. Elle croit en sa discipline, le français, quand elle les met à l’écriture, au besoin en s’aidant de l’ordinateur – même si l’un d’eux, à l’occasion, coupera le fil de la souris…
Elle croit beaucoup au pardon. Comment pourrions-nous continuer à vivre ensemble sans le pardon ? Mais comment pratiquer le pardon, quand les élèves vivent dans un environnement où le pardon est considéré comme une preuve de faiblesse ? Marie a découvert « le pardon aux yeux noirs », quand vous pouvez montrer dans votre attitude que vous pardonnez en toute liberté, mais que vous ne cédez sur rien, que vous n’abdiquez rien de votre autorité.
Marie est une jeune femme de un mètre soixante, elle tient debout ; il y a sept ou huit ans déjà, je lui avais demandé, à elle et à quelques autres, si ce métier les humanisait ou les détruisait. Sans savoir combien de temps elle pourra tenir encore sur ce poste, Marie sait qu’elle a grandi en humanité.
Les lecteurs de Lignes de crêtes ont pu lire récemment le témoignage rédigé par Marie, dans le dossier sur l'humanisme.
École et société