Que de femmes exceptionnelles ont survécu à Ravensbrück, ou y sont mortes !
Margarete Buber-Neumann, livrée à Hitler par Staline, avec son mari et d’autres militants communistes, survivra aux deux déportations communiste puis nazie.
Elle écrit dans Milena, sa biographie de la fiancée de Kafka, je suis heureuse d’avoir été internée à Ravensbrück parce que j’y ai rencontré Milena.
Elle raconte leur rencontre. Au cours d’un de ces mouvements de foule que les SS s’ingéniaient à provoquer. Milena voit Margarete, qui venait en sens inverse. Elle s’arrête, entame une longue conversation, indifférente aux protestations comme à la poussée des deux foules. Ainsi était Milena, insensible à tout ce qui échappait à l’intensité de l’instant présent.
Toute jeune déjà, elle appartenait à un groupe de jeunes praguoises anticonformistes dont la liberté d’allure dérangeait. Les rencontres masculines ont été décevantes pour elle, après les premiers emballements. L’admiration réciproque qui l’unissait à Kafka ne s’est jamais démentie, mais elle n’a pas vraiment réussi à le réconcilier avec la vie. Quand elle est parvenue à l’emmener pour un week-end de promenade à la campagne, il a terminé complètement épuisé. Mais le regard aigu de K. sur le réel continuera de la fasciner.
Une maladie soignée à la morphine la rendra dépendante et faillira l’entraîner dans la déchéance physique et morale, au point qu’il est étonnant, après l’invasion de la Tchécoslovaquie par Hitler de la retrouver si intrépide. Interrogée de façon pressante par un militaire allemand, sur ses fréquentations douteuses, juives évidemment, elle étonne l’officier, qui se fait menaçant :
- Je n’ai pas l’habitude qu’on me réponde de cette façon !
- Et moi, je n’ai pas l’habitude qu’on me pose ce genre de questions !
Cela finira par la déportation, comme on l’a vu. Mais Milena ne s’écrasera pas pour autant. Au risque de sa vie, elle s’ingénie à retrouver son amie ici ou là, toutes deux se privant pour cela d’heures de sommeil qui devaient être bien précieuses. Quand elle est chargée en partie de l’infirmerie, elle réussit à s’aménager un petit coin personnel où l’on peut voir un verre orné d’une fleur. Là aussi, elle prend tous les risques pour sauver qui elle pourra, ou atténuer les souffrances.
Convoquée un jour, plutôt pour le pire, chez un responsable du camp, Margarete est toute surprise et effrayée en même temps de trouver une avocate en Milena, qui a réussi à imposer sa présence. Un jour, lors d’un déplacement en groupe, alors qu’il pouvait être mortel de regarder les gardiens en face, ses compagnes sont stupéfaites de voir Milena dénouer son foulard et saluer de grands gestes les SS présents. Cette audace laissera ceux-ci sans réaction.
La fin du livre, on s’en doute, est éprouvante, et je n’en dirai pas plus.
École et société