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bouteille à la mer, 7

27 décembre 2014 By

Etre chrétien, est-ce croire à une mythologie? De quel dieu suis-je athée?

De quel dieu suis-je athée?

 

Je me souviens avoir pensé un jour, coopérant en Algérie, à propos de l'Islam, que je croyais découvrir dans sa réalité : je suis athée de ce dieu-là! Je ne le dirais plus aujourd'hui.

D'abord, parce que qu'aujourd'hui trop de monde le pense sans s'être efforcé d'approfondir la question, en se laissant plus ou moins prendre aux amalgames faciles qui nous font glisser de musulman à salafiste, et de salafiste à terroriste. En oubliant que les premières victimes des djihadistes, et les plus nombreuses, sont les musulmans eux-mêmes, comme l'a rappelé récemment le regretté Abdelwahab Meddeb dans une de ses dernières chroniques. Il y déplorait, du point de vue du patrimoine, toutes les destructions récentes ou imminentes dues à Daesh (c'est bien plus grave, certes, de tuer les hommes, mais cela aggrave le meurtre quand on efface même les traces des disparus). Cet universitaire et producteur à France Culture a travaillé toute sa vie à nous faire sortir de notre vision étriquée de la « culture d'Islam » - vision partagée malheureusement par trop de musulmans, souvent ignorants de leur propre culture – et en particulier de désolidariser l'islam de sa vulgate wahhabite que l'Arabie saoudite a propagée dans le monde à coup de pétrodollars.

Ensuite, parce que je me souviens d'une recommandation de Denis Gira, à propos du dialogue interreligieux : il faut dialoguer en regardant en l'autre ce qu'il y a de plus haut.

Enfin parce qu'une de nos amies, récemment questionnée sur son athéisme, disait entre autres ne pas supporter le pharisaïsme de trop de chrétiens. Ce qui est moins un argument que l'expression d'un motif bien légitime. Ce qui m'incite à faire retour sur mes convictions et à me demander, non pas en culture d'islam, mais en culture chrétienne : de quel dieu suis-je athée?

Je ne crois pas en un dieu tout puissant. Du moins en un dieu qui le serait à la façon d'un imperator suprême. Ce qui est incompatible avec l'idée d'un dieu bon.

Pour autant, il est trop facile de pencher du côté d'un dieu impuissant, ce qui résout un peu vite la question. Comme l'écrit Sylvie Germain, parce qu'on a trop fait de dieu un dieu architecte et super régent, on est trop tenté actuellement de voir en lui « le dernier des incapables ». Bellet dit quelque part qu'il ne faut ni nous priver de notre puissance, ni en priver dieu.

La solution est pour moi, comme souvent, à chercher du côté de Ricœur, quand il dit, même en parlant de notre noir XX° siècle, que le mal n'est pas la réalité ultime, que la bonté est une réalité plus fondamentale encore.

On pense, bien sûr, au récit de la création, au premier chapitre de la Genèse : « Et « Dieu » vit que cela était bon ». A ce que beaucoup de célébrants disent aujourd'hui : Dieu dont la toute puissance est d'aimer. Ce qui est peut-être encore une formule et demande à être pensé. Je préfère la formulation de Varillon :« Dieu n'est qu’amour».

Mais de quelle puissance dispose cette bonté?

Et d'abord d'où vient le mal? Qu'est-ce qui a pu le rendre possible dans un monde bon créé par un dieu bon? Force nous est de reconnaître qu'il n'y a pas de réponse théorique à cette question. Placer cette origine dans la désobéissance de l'homme, ou en deçà dans la révolté de « Lucifer », ou encore dans une matière incréée préexistante: il me semble que l'on pourrait toujours aller plus « en deçà » et rester, de fait, sans réponse : pourquoi le mal a-t-il pu naître? Dieu respecte le monde qu'il a créé, et ses lois? Mais pourquoi a-t-il choisi de créer ce monde-là? La moins mauvaise théodicée serait celle de Leibnitz, si on ne la réduit pas à la pensée de Pangloss, telle que Voltaire la caricature dans Candide. Le meilleur des mondes serait impensable et impossible, n'existerait que le meilleur des mondes possibles.

Je pense en fait, après beaucoup, qu'il est plus honnête de renoncer à toute théodicée. Non, décidément, il n'y a pas de réponse théorique.

Même athée. Non parce que la vision athée serait décidemment trop glacée et glaçante. Si la réalité est telle, pourquoi se voiler la face.

Mais parce que l'aporie de la vision athée est qu'elle échoue à expliquer l'origine du bien, au moins en dernière analyse.

Je pense qu'il faut se résigner au fait que la réponse « en dernière analyse » ne peut que nous échapper. « L'insensé dit : il n'y a pas de dieu! ». Ce n'est pas la négation qui est insensée, commente Hannah Arendt, c'est la prétention de décider intellectuellement de ce que nous ne sommes pas armés pour penser. Sa réponse était probablement l'agnosticisme. La mienne est de dire qu'il n'y a que deux réponses sensées: l'agnosticisme ou la foi.

Si du moins la foi cesse de prétendre savoir. Tout au moins aller au-delà d'une docte ignorance.

Y aurait-il une réponse pratique? A la manière de Claudel ? Jésus n'explique pas la souffrance, il la prend sur lui. Excusez-moi, monsieur le poète : trop facile encore. Quelle consolation y a-t-il à penser que la souffrance assumée par le Christ peut apaiser la mienne, ou dédouaner dieu de la mort des innocents? En un sens, la souffrance du Juste par excellence ne fait qu'ajouter à l'absurde.

Ce que j'apprends, en même temps, de la foi, et d'une certaine expérience, est que le mal, au moins parfois, peut-être traversé. Et qu'il faut chercher, à la suite de Christoph Theobald, quelles sont nos ressources pour affronter l'insupportable?

Je ne crois pas en la providence. Ou plutôt, j'y crois à la manière de Marcel Légaut.

Il est à la fois aliénant et illogique de croire en un dieu qui veillerait sur nous à la manière d'un père qui sait et peut ce qui est bon pour nous, au sens où il interviendrait dans le fil de nos vies : ce père serait, pour le moins, négligent. Et quelle cohérence resterait aux lois qui nous permettent de penser notre monde? Je crois, et c'est déjà énorme, à la possibilité pour l'homme, dans ce qui est proprement la vie spirituelle, de s'assimiler l'autre que lui pour le faire sien, comme le fait toute vie : la loi qui ne me régit sans aliénation que si je la fais mienne; l'événement auquel je dois donner un sens dans la ligne de ma vie, par un « travail de la foi »: ce qui m'arrive et qui me déstabilise, menace de me détruire, je le fais mien, j'inverse le destin en vocation. Pour faire image, je pense au boa du Petit Prince, de Saint-Exupéry, avec sa grosse bosse quand il digère un mouton, avec son énorme bosse quand il digère un éléphant. Dans ce travail, on peut très bien penser un accompagnement divin, s'il travaille au cœur de notre liberté, pour la susciter plus haute encore. Comme disait de la Bible Louis Dérousseaux : C'est une histoire intégralement humaine. Au cœur de cette histoire, des hommes reconnaissent, à la source créatrice de leur liberté, une présence : Il était là, et je ne le savais pas. Ce qu'il peut nous arriver de penser, par fulgurance, dans un regard sur notre propre existence : tout est grâce. Illusion rétrospective? On peut l'interpréter comme cela. Mon regard croyant en saisit plutôt la fécondité.

 

C'est là que je puis lire ainsi le récit d'Emmaüs: s'ils le reconnaissent à « la fraction du pain », c'est que donnant sa vie au soir du dernier jour : ceci est mon corps donné pour vous, il résume dans ce geste toute son existence de vivant, d'« homme-pour-les autres ». Il refuse que, cette vie, on lui la « prenne » et choisit de la donner. Et le pain et la coupe qui passent de main en main commencent à tisser son nouveau corps de Ressuscité, tel qu'il naîtra de son dernier souffle (emisit spiritus peut se traduire il rendit l'âme ou il répandit l'Esprit). C'est ce que j'appelle inverser le destin en vocation.

 emmaüs

Il faut ajouter tout de suite que l'assimilation de l'autre, ne concerne pas l'autre humain : à ce point-là de son cheminement, Marcel Légaut cesse de parler d'assimilation, ce qui serait une forme d'anthropophagie relationnelle. Il parle d'approche de l'autre. Comme époux, et plus encore sans doute comme parent, je dois renoncer à tout pouvoir de mener la vie de l'autre, au double sens du mot : en ce qui concerne ses choix fonciers, je n'ai pas à prendre sa place, fût-ce pour l'aider. C'est une sorte de petite mort que de consentir à cela, mais je pense avec Légaut que cette mort nous humanise.

 

C'est aussi à cette mort-là que Jésus a dû donner sens, lors du repas de la Cène, aussi bien quand il envoie Judas faire ce qu'il a à faire, que quand il pressent la trahison de Pierre ; à Gethsémani, quand les trois qui restent encore dorment pendant son agonie ; et, sur la croix, quand il expérimente effectivement la troisième tentation : prétendrait-il se jeter du haut du Temple, celui qui est cloué sur le bois?

 

L'heure de l'abandon est maintenant son « heure », celle de son abandon ultime entre les mains d'Abba, son Père.

Bonhoeffer, dans sa prison, avait médité sur la solitude du Christ, qui était aussi la sienne : il est infiniment plus facile de mourir entouré des siens... au soir de sa vie... dans l'honneur. Jésus est mort jeune, seul, trahi par les siens, dans le déshonneur. Lui-même écrit pourtant : « la mort, fête suprême sur le chemin de la liberté. »

 

Je ne crois pas en un dieu immuable et insensible.

Ce dieu renvoie plutôt au « premier moteur immobile » d’Aristote. Ce dieu n’est pas le « Dieu » des deux alliances dont parle la Bible. Certes, parler de la jalousie de dieu, de sa colère, ou de sa tendresse, peut sembler abusivement anthropomorphique. Cependant, cela suggère mieux la présence d’un « Dieu » qui nous accompagne, si on n’oublie pas des textes comme celui du buisson ardent, ou l’impossibilité de se faire une image de « Dieu ». De même, que le fameux tétragramme « YHWH », que les juifs ne prononcent pas ; que la Traduction Œcuménique, à la suite de la septante, traduit par Seigneur, que des exégètes chrétiens comme André Wénin appellent eux aussi Adonaï : il me semble que nous devrions, en création dAdamtout cas, éviter de dire et écrire Yahvé. Bonhoeffer dit : ce n’est que lorsque l’on a compris l’impossibilité de prononcer le nom de Dieu que l’on a le droit de prononcer celui de Jésus-Christ. Dans certaine icônes, c’est le Christ qui apparaît dans le buisson ardent, de même qu’à Chartres le « Dieu » qui modèle amoureusement Adam a les « traits » de Jésus-Christ. Ce qui me rend insupportable le dieu créateur de Michel-Ange : je ne sauverais que ce détail des deux mains proches à se toucher, mais qui justement ne se touchent pas… Là, Michel-Ange redevient spirituel.

Dans son livre très original sur la Trinité, le dominicain belge Ignace Berten parle de « Dieu » à partir des images bibliques et d’une attention toute concrète à la vie des humains, à la lumière de la théologie de la libération.

Un théologien comme Rahner a évolué sur ce point : après avoir essayé de concilier la théologie de l’Incarnation avec la conception d’un dieu immuable, il en vient à dire que l’incarnation n’est pensable que s’il y a du devenir en Dieu.

Enfin et surtout, il faudrait parler de tout cela comme Pablo Neruda parle à sa bien aimée :

Pour que tu m’entendes

   Le bruit de mes paroles s’amenuise

       Comme les traces des mouettes sur le sable…

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