J’aurais aimé faire figurer Abdel Kader parmi ces figures libres, mais je ne le connais pas assez. Je sais seulement que ce combattant était aussi un mystique, et un homme tolérant acceptant que l’islam ne soit pas la seule religion à posséder la vérité. Il est connu aussi pour avoir, en Syrie où la France l’avait relégué, sauvé du massacre des chrétiens de ce pays.
Un autre témoin pourrait être le grand mystique soufi El Hadj, mis à mort par d’autres musulmans pour sa manière ouverte et spirituelle de pratiquer l’Islam, je crois. Congar cite cette parole de lui : «Celui dont la maladie s’appelle Jésus ne guérit jamais.»
Quelqu’un est venu d’Algérie, compte maintenant parmi mes proches. Il a quitté son pays à la fin des années noires, après l’assassinat de son père par les islamistes. Infirmier à Alger, il a dû recommencer toutes ses études en France, accueilli par son oncle, craignant sans cesse l’expulsion, pendant cinq ans, dans l’impossibilité de revoir les siens. Heureusement, une école a accepté de le former, des maisons de retraites lui ont donné du travail comme aide-soignant, la mairie n’a pas cru devoir faire une enquête avant son mariage…
Je l’ai accompagné au tribunal, avec la jeune femme qui partageait sa vie. L’Etat est vraiment un monstre froid, ai-je pensé en écoutant la jeune commissaire qui plaidait, au nom de la République, pour sa reconduite aux frontières : le demandeur dit que son père a été tué par les islamistes. Qu’est-ce qui le prouve ?
En février, nous sommes allés dans la famille de B., son jeune frère évoquait ces années de plomb, où la peur était quotidienne. Il nous a raconté comment sa mère avait sauvé son aîné en criant à ceux qui le menaçaient : prenez tout ce qu’il y a dans la maison, mais laissez-moi mon enfant.
Nous avons admiré cette famille courageuse, tenant boutique, faisant tourner l’huilerie moderne que B. et ses frères ont construite en remplacement de l’ancienne huilerie artisanale, trayant les vaches à la ferme, surveillant les ruches dans les collines au milieu des ruines de l’ancien village d’avant les années noire, offrant une hospitalité constante et inventive. Cette vie active ne satisfaisait pas B., il la voyait fermée, sans perspective… Nous avons apprécié la merveilleuse hospitalité kabyle de sa famille. Nous sommes fiers que notre petite fille en fasse partie.
École et société