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vendredi, 13 août 2010 00:00

Vatican II, vous vous souvenez ?

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Pendant et après le Concile, les témoins et les continuateurs...

Vatican II - Histoire et actualité d'un concile
Numéro hors-série de la revue Études (15€)

            Question probablement incongrue si vous avez moins de cinquante ans ; pour vous, Vatican II, c'est (peut-être) de l'histoire, ou plus vraisemblablement quelque chose dont on entend parler dans l'Église, et auquel vos aînés semblent attacher de l'importance, mais dont le sens risque de vous échapper plus ou moins. Et pourtant, depuis quelques années Vatican II redevient un sujet de discussion, une référence - au moins verbale - et quelquefois même un thème de controverse. Question typique : le déclin des effectifs tant de fidèles que de prêtres en Europe est-il ou non dû à l'effet néfaste de Vatican II ? Quant à la réponse, les opinions aujourd'hui divergent quelque peu !

            C'est pourquoi il faut d'urgence acheter et lire le numéro hors-série des Études paru en juin dernier, Vatican II - Histoire et actualité d'un concile. De deux choses l'une : ou bien vous avez moins de cinquante ans, et cette lecture sera une source d'information de premier ordre sur le Concile, ses origines, ses objectifs, son déroulement, la discussion et le vote des divers documents qui ont structuré la vie de l'Église depuis plus d'un demi-siècle ; ou bien vous êtes de la "génération du Concile", et vous allez revivre l'enthousiasme qui nous a soulevés à cette époque, et revisiter cette histoire aussi inattendue que passionnante.

Une histoire écrite à chaud

            C'est la première partie de la revue qui vous offre cette chance ; à travers un choix judicieux de chroniques du Père Robert Rouquette, alors correspondant à Rome des Études, le lecteur revit étape par étape l'annonce surprise de Jean XXIII, celui qui était censé n'être qu'un "pape de transition", les motivations et les buts de cette réunion inédite depuis près d'un siècle et l'interruption prématurée de Vatican I, l'élaboration des "schémas" par la Curie et leur remaniement au fil de la discussion des évêques du monde entier, jusqu'au vote final des documents et à leur promulgation par le successeur du providentiel Jean XXIII, le pape Paul VI.

            Et déjà se font jour des éléments de réponse à la question ci-dessus ; ce qui apparaît nettement, c'est qu'on a pris conscience à Rome, et en particulier chez le pasteur qu'était Jean XXIII, de la sécularisation accélérée des sociétés développées, et du défi qu'elle représente pour une Église perçue comme vieillotte, poussiéreuse et figée dans un conservatisme qui place un écran mortel entre la société et l'Évangile qu'elle prétend annoncer. La situation devient grave, et il paraît de plus en plus nécessaire de mettre fin à l'immobilisme qui dure depuis la fin du XIXème siècle. C'est alors, avec un mot qui tout de suite fait fureur, que Jean XXIII propose de réunir les évêques du monde entier pour procéder à un "aggiornamento", une remise à jour de l'Église catholique. Il propose un "concile pastoral" et non dogmatique, pour permettre aux catholiques de retrouver la langue - et l'oreille - des hommes de leur temps.

            Mais cette Église est aussi celle de nombreux pasteurs qui, à la base et depuis des décennies déjà, sentent bien l'évolution qu'il faut prendre en compte et expérimentent des démarches pastorales nouvelles ; elle est aussi celle d'exégètes et de théologiens qui, sur la voie récemment  ouverte par le pape Pie XII, se sont lancés dans un travail immense sur les sources bibliques de la foi, et dont les recherches commencent à soutenir l'action des pasteurs. Autrement dit, quelle que soit la surprise que son annonce a causée, Vatican II ne sortait pas de nulle part, et entendait bien répondre à un besoin vital de l'Église et de l'annonce de l'Évangile.

            Dans cette première partie, ce qui frappe aussi, c'est le style de Robert Rouquette ; par certains côtés, vieillot et révérenciel comme l'était le style de bien des ecclésiastiques de l'époque, il devient peu à peu plus libre et laisse percer l'enthousiasme du correspondant romain, témoin d'événements qui lui paraissent quasi-miraculeux. En même temps, il laisse apparaître son information de premier ordre sur ce qui se passe en public, bien sûr, mais aussi sur les tractations de couloirs, sur les bruits qui circulent, et sur le vrai face à face entre une minorité d'évêques appuyés sur la Curie, qui cherchent à verrouiller le Concile et à éviter toute véritable évolution, et la majorité mue par une forte conviction de l'urgence pastorale, appuyée sur les exégètes et théologiens, et décidée à obtenir une réorientation fondamentale de l'attitude de l'Église dans le monde.

Une difficile "réception"

            La deuxième moitié du volume, c'est "l'après-vente" du Concile. Une deuxième sélection d'articles, cette fois d'auteurs variés mais tous particulièrement qualifiés, nous permet de cheminer entre 1964 et 2010, autrement dit la fin du Concile et notre situation actuelle ; c'est en quelque sorte le début de l'histoire de la "réception" du Concile, de son inscription (très) progressive dans la mentalité et la pratique des catholiques au fil des années. Y apparaissent trois périodes distinctes, celle de la fin des années 60, alors que le Concile est en train de se terminer, celle du Synode de 1985, voulu pour célébrer les vingt ans du Concile et relancer la réorientation qu'il avait décidée, et celle des années 2000, avec la question de l'interprétation de Vatican II aujourd'hui. Il faudrait bien sûr tout reprendre, mais sans aucune prétention de choix objectif - et avec une grande frustration de ne pouvoir rendre compte de tout, je voudrais mettre en lumière trois articles particuliers, celui de Joseph Gélineau sur la liturgie, celui de Joseph Thomas sur le schisme lefèbvriste et celui de Bernard Sesboüé sur les animateurs pastoraux.

            "Réforme liturgique, renouveau de l'Église", le titre de l'article qui salue la promulgation de la Constitution De sacra liturgia est sans ambiguïté : ce n'est pas d'aménagements cosmétiques qu'il s'agit, mais d'un profond remaniement de la prière du Peuple de Dieu, et par là de la totalité de sa vie de foi.

            Dans un rapide parcours de l'histoire de l'Église destiné à montrer dans quelle évolution se situe Vatican II, Joseph Gélineau s'arrête d'abord sur l'admirable synthèse des signes liturgiques et du sens atteinte aux IVème - Vème siècles dans le cadre de la culture antique, puis sur la décadence culturelle entraînée par les invasions barbares et l'éloignement progressif du peuple de la liturgie au Moyen-Âge, sur l'occasion manquée de la Réforme, en particulier pour ce qui est de l'utilisation des langues vernaculaires, et sur la redécouverte au XIXème siècle d'une liturgie "prière de l'Église" et nourriture de la foi du peuple. C'est ce qui, pour lui, justifie une nouvelle remise à jour de la liturgie : une fois encore, le contexte historique a changé, l'Église est "de manière actuellement irréversible, en état de diaspora" (p. 131), et la foi du Peuple de Dieu ne peut plus être nourrie par une liturgie figée dans le formalisme et parlant une langue inconnue de la plupart ; et il conclut que "la véritable mise à jour est spirituelle, et c'est elle qui mérite toute notre attention" (p. 133).

            Puis il reprend les idées-forces de la Constitution, avec d'abord l'importance fondamentale de l'écoute de la Parole de Dieu et la nécessité de redonner au Peuple le goût de cette Parole ; cela entraîne la redécouverte des "deux tables", la table de la Parole et celle de l'Eucharistie, mises sur un pied d'égalité, mais aussi la refonte du cycle des lectures et le recours plus systématique au Premier Testament. Il insiste aussi sur la redécouverte du fait que la liturgie n'est pas une action du prêtre à laquelle assiste l'assemblée, mais une louange commune du Peuple de Dieu où chacun tient sa place ; c'est pourquoi elle doit savoir s'adapter aux différentes cultures et parler la langue de chaque homme, de façon à constituer le socle de sa prière et de sa vie de foi.

            Tout au long de cet article, il a pour préoccupation de montrer qu'il s'agit de bien autre chose que de passer du Latin aux diverses langues, mais que l'enjeu n'est rien moins que le renouveau de la vie des communautés chrétiennes. Et c'est ce que beaucoup d'entre nous avons depuis lors expérimenté concrètement, fût-ce quelquefois au travers de certains "débordements liturgiques" ensuite ramenés à plus de raison.

L'arrière-plan de notre actualité

            Autre article, mais d'un ton bien différent, celui de Joseph Thomas sur "Le schisme de Marcel Lefèbvre" ; publié en septembre 1988, après la rupture définitive entre Mgr. Lefèbvre et Rome, il regrette "quinze années de patience, sans doute excessive, des responsables de l'Église" (p. 221) - ce qui prend un relief nouveau après la levée de l'excommunication des évêques intégristes en 2009. Mais plus important encore, il situe le différend là où il se trouve réellement : bien au-delà d'une affaire de Latin, ce différend porte sur la vision d'une Église irrémédiablement figée dans sa "tradition", artificiellement coupée de l'Écriture et du magistère, d'une Église "face au monde" et condamnant ce monde, alors que le Concile l'a explicitement située "dans le monde et pour le monde" et non en état de siège !

            Mais surtout, et c'est là que Joseph Thomas rejoint le Père Gélineau, il ne faudrait pas sous-estimer l'importance de la "querelle liturgique". Comme le disait déjà la Constitution sur la Liturgie, celle-ci n'est pas d'abord une question de forme ou de langue ; elle modèle profondément, à travers l'écoute de la Parole et l'œuvre commune de louange de l'ensemble du peuple de Dieu, la vie de foi de la communauté et sa vie tout court. Et c'est à ce titre que Joseph Thomas regrette le projet d'accord présenté quelques mois plus tôt aux intégristes par un certain cardinal Ratzinger (déjà !), sur la "messe de St. Pie V", trop favorablement accueilli à son avis par des évêques français qui y voyaient une solution de facilité pour réintégrer la mouvance lefèbvriste dans l'Église de France. C'est peu dire que de constater à quel point l'actualité de ces dernières années a montré sa clairvoyance !

            Et puisqu'il faut bien choisir, je voudrais terminer en donnant un aperçu d'un autre article qui retrouve aujourd'hui une actualité certaine, celui de Bernard Sesboüé sur "Les animateurs pastoraux laïcs", publié en 1992. Il y passe en revue la situation d'une Église où les ordinations sacerdotales se raréfient durablement, et où des laïcs de plus en plus nombreux sont investis par les évêques d'une mission pastorale (funérailles, aumônerie d'hôpitaux, de lycées, etc.). Il y examine ce qu'il appelle neuf "distorsions" entre l'ecclésiologie définie à Vatican II, fondée sur la collégialité et l'ecclésiologie de communion, mais aussi réaffirmant la structure hiérarchique de l'Église fondée sur l'épiscopat et la valeur spécifique du ministère ordonné, et la pratique concrète entraînée par la disparition progressive des prêtres et le recours croissants aux laïcs pour les suppléer.

            En quelques lignes, il montre que cette ecclésiologie est vidée de son sens lorsque des laïcs - et très majoritairement des femmes - sont chargés de présider la prière communautaire, d'assurer une part croissante du ministère de la Parole ou d'assumer la part humaine et catéchétique de la préparation aux sacrements, alors qu'ils n'ont pas reçu d'ordination. On réduit ainsi le prêtre à être un spécialiste de l'administration du rite, plus ou moins perçu comme un "magicien". Et Bernard Sesboüé de faire appel à l'histoire pour montrer à travers un exemple comment l'Église a déjà su évoluer quand les circonstances le rendaient nécessaire : au Moyen-Âge, la pénitence publique et unique étant devenue impraticable et donc désertée, l'Église a dû se réconcilier avec la pratique existentielle en permettant la pénitence privée.

Puis il tente un "retour aux sources de la structure ministérielle" de l'Église, le lien entre "quelques-uns pour tous", trop vite figé dans le rapport dual "clercs-laïcs" ; il montre comment le rapport direct entre Jésus et les foules a été progressivement médiatisé par l'institution des disciples, comment la crise entre hébreux et hellénistes a entraîné l'institution des Sept, "établis pour le service des tables, s'adonn(ant) aussitôt au ministère de la Parole" (p. 236). Là comme dans les communautés pauliniennes, comme dans le rôle-clef des diacres à Rome, "l'existence a engendré l'institution" (p.236) et à chaque occasion fait naître de deux pôles un troisième. C'est là que nous en sommes aujourd'hui, et c'est cette phase existentielle qu'il convient de gérer en préparant la reconnaissance d'une identité spécifique de ces "laïcs en mission pastorale". Et il prévoit le jour où l'Église, expérience faite, pourra déclarer à l'instar de Pierre (Ac, 10, 45) : "Avons-nous le droit de ne pas ordonner ceux dont le ministère a manifestement montré qu'il avait la fécondité qui vient de l'Esprit ?" (p. 240).

Bien sûr, il faudrait aussi évoquer ces précieux articles qui présentent les grands documents du Concile, mais aussi évoquent la psychanalyse ou l'Islam, ou encore la liberté religieuse - une autre pomme de discorde avec les lefebvristes ; il faut également relire ce que Joseph Thomas écrivait du synode de 1985, et se pencher avec Gilles Routhier ou Christoph Theobald sur la question de l'interprétation du Concile.

Ce numéro des Études est d'évidence une mine d'or, et doit trouver sa place dans la bibliothèque de tout catholique bien informé. Il a surtout la grande qualité d'apporter à nos débats ecclésiaux d'aujourd'hui un irremplaçable arrière-plan historique, qui permet de mieux apercevoir les enjeux du présent ; et il montre à quel point les problèmes d'aujourd'hui sont posés depuis bien longtemps, mais aggravés par la pusillanimité et la lenteur des épiscopats européens à se saisir enfin de l'inspiration de Vatican II et à la mettre concrètement en œuvre. Puisse ce livre y contribuer !

Gérard Fischer
St Quentin sur Sauxillanges, août 2010.

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