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vendredi, 12 décembre 2014 00:00

La joie de l'Évangile

Écrit par

LA JOIE DE L’ÉVANGILE (Evangelii Gaudium)
Pape François

Bayard – Cerf – Fleurus-Mame – 247 pages

la-joie-de-l-evangileCette exhortation apostolique du pape François, en date du 24 novembre 2013, est un texte important. Le pape le présente en effet comme destiné à inviter les chrétiens à « une nouvelle étape évangélisatrice marquée par la joie et indiquer des voies pour la marche de l’Église dans les prochaines années » (n°1). D’une certaine manière, ce texte, qui n’est pas le premier écrit important du pape[1], apparaît comme un texte programmatique. C’est une exhortation apostolique post-synodale. Il est de tradition, en effet, que, après la tenue d’un synode des évêques, le pape publie un tel texte dans lequel il relit, à sa manière, les travaux des pères synodaux. Le texte que nous lisons ici a été publié après la 13e assemblée ordinaire du synode des évêques, qui s’est tenue du 7 au 28 octobre 2012, sur le thème : La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne.

Après avoir rapidement évoqué les références que cite le texte, nous donnerons une présentation rapide de celui-ci, avant de tenter une synthèse sur le thème de la joie, qui donne son titre au document.

1. Les références à l’arrière-plan du texte

Nous avons bien conscience que cet examen de l’appareil critique du document est bien rapide et qu’il prendrait surtout de l’intérêt par comparaison avec d’autres documents de même nature publiés par Jean-Paul II et Benoît XVI. Cependant ce petit travail, en soi, n’est pas sans enseignement.

Naturellement, la première référence, c’est l’Écriture Sainte. Les références sont très nombreuses et nous n’avons pas cherché à les dénombrer. On notera simplement qu’il s’agit, le plus souvent, de simples phrases. Nous n’avons pas, comme dans l’exhortation post-synodale Christifideles laici de Jean-Paul II (30 décembre 1988) à la suite du synode sur la vocation et la mission des fidèles laïcs dans l’Église et dans le monde, une méditation sur un texte biblique – il s’agissait là de la parabole des ouvriers à la Vigne (Mt 20, 1-16).

On relève 7 références aux Pères de l’Église (Irénée de Lyon, Ambroise, Cyrille, Jean Chrysostome, Augustin (3 réf.)), une référence à Isaac de l’Étoile et 14 à saint Thomas d’Aquin[2]. Parmi les auteurs plus récents, on trouve Thomas a Kempis (comme auteur de l’Imitation de Jésus-Christ), Jean de la Croix, et, pour l’époque contemporaine, John Henry Newman, Thérèse de Lisieux, saint Juan Diego, mais aussi Georges Bernanos (Journal d’un curé de campagne), Henri de Lubac (Méditation sur l’Église), Romano Guardini (Die Ende der Neuzeit) et deux auteurs latino-américains[3].

Le magistère contemporain est très présent, avec, d’abord, le concile Vatican II (19 références)[4] et les papes contemporains. Si un message de Pie XI est mentionné, Jean XXIII apparaît trois fois, avec le discours d’ouverture du concile Vatican II (2 réf.) et l’encyclique Mater et magistra (1 réf.). Paul VI occupe une place relativement importante (24 réf.), avec notamment l’exhortation apostolique Evangelii nundiandi du 8 décembre 1975 (14 réf.)[5]. Jean-Paul II est cité 52 fois, particulièrement l’encyclique Redemptoris missio (7/12/90) (6 réf.), la lettre apostolique Christifideles laicii (30/12/88), l’encyclique Pastores dabo vobis (25/3/92), la lettre apostolique Novo millenio ineunte (6/1/2001) (5 réf.). Mais on relèvera comme très significative la place donnée aux exhortations apostoliques qui ont suivi les synodes locaux sur l’Asie, l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie (11 réf. au total). Benoît XVI est cité 19 fois, principalement l’encyclique Deus caritas est (25/12/2005) (4 réf.)

On notera aussi comme étant significative la présence de divers textes publiés par des conférences épiscopales : États-Unis, France, Italie, Brésil, Philippines, Congo, Inde, mais, en premier lieu, plusieurs textes des assemblées de l’épiscopat d’Amérique latine (le CELAM) et notamment le document d’Aparecida (29 juin 2007) (13 réf.).

Enfin, les références sont nombreuses aux propositions faites par les pères synodaux lors de l’assemblée du synode des évêques à laquelle est relative la présente exhortation apostolique : 29 références, sans compter trois autres à des discours prononcés par Benoît XVI à cette occasion.

De ce comptage, on peut relever comme des éléments significatifs, me semble-t-il, l’importance de la référence à l’exhortation apostolique de Paul VI, Evangelii nuntiandi et la présence des textes relatifs à la vie de l’Église dans les différents continents et dans les différentes nations, qui semble dénoter un souci d’une parole qui soit enracinée et qui, de ce fait, pourra être une parole plurielle[6]. Le document d’Aparecida, outre sa localisation latino-américaine, semble lui aussi être un texte inspirant le présent document. Le grand nombre des références aux propositions des pères synodaux traduit, me semble-t-il, le souci d’une écoute de leurs paroles.

2. Les grandes lignes de l’exhortation apostolique

Le document se veut donc être une réflexion sur la tâche d’évangélisation qui incombe à tous les membres de l’Église, réflexion débouchant sur des propositions pratiques. L’introduction, qui s’ouvre par les mots : « la joie de l’Évangile », est suivie de cinq chapitres, portant sur la transformation missionnaire de l’Église, une analyse de la crise communautaire, la tâche de l’annonce de l’Évangile, la dimension sociale de l’évangélisation, et enfin la présence de l’Esprit Saint dans la tâche d’évangélisation.

Dans l’introduction, le pape oppose la joie que procure l’action évangélisatrice à la tristesse, au vide intérieur et au sentiment d’isolement, qui étreignent nombre de nos contemporains. Il oppose en quelque sorte une vie tournée vers l’extérieur à une existence marquée par le repli sur soi. Il invite à la rencontre avec Jésus, une rencontre qui procure la joie.

Dans le synode sur la nouvelle évangélisation, on a rappelé que celle-ci se réalise dans trois domaines :

  • la pastorale ordinaire, à destination des croyants, mêmes pas pratiquants réguliers,
  • les personnes baptisées qui ne vivent pas les exigences du baptême, qui n’ont pas l’appartenance de cœur à l’Église,
  • ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ ou qui l’ont toujours refusé.

Le premier chapitre invite à une transformation de l’Église pour en faire une Église missionnaire. C’est là que le pape définit d’abord ce qu’il entend par « une Église en sortie » – l’expression reviendra plusieurs fois. C’est un appel à quitter le confort, l’inertie, l’immobilisme, pour accepter l’initiative, l’implication, pour accepter d’accompagner chaque homme, dans une attitude de service, sans se laisser décourager, en pratiquant la vertu de patience.

Cette Église ne doit pas se laisser enfermer dans des méthodes pastorales couramment pratiquées, mais qui peuvent engendrer l’inertie, elle doit opérer « une réforme permanente de soi par fidélité à Jésus-Christ » (n°26).

Pour autant, le pape n’invite pas à abandonner les structures existantes, mais à les réformer. Il en est ainsi de la paroisse. Elle demeure visiblement la structure centrale de la visibilité de l’Église, mais elle ne doit surtout pas être coupée de la population où elle est insérée. Les mouvements sont plus rapidement mentionnés, nous y reviendrons. Le pape n’hésite pas devant des propos audacieux, il invite à être créatifs dans le choix des méthodes d’évangélisation.

Cependant il pose plusieurs principes fondamentaux :

  • tenir compte de l’arrière-fond culturel des interlocuteurs : ils ne perçoivent pas nécessairement ce qu’on leur dit de la manière dont nous le disons, il faut donc garder constamment le lien avec l’Évangile ;
  • garder une hiérarchie dans l’annonce ; il ne convient pas de « parler plus de la loi que de la grâce, plus de l’Église que de Jésus Christ, plus du Pape que de la Parole de Dieu » (n°38) ;
  • la morale n’est pas une somme d’options idéologiques, mais l’invitation à une réponse d’amour à l’appel de Dieu ;
  • tenir compte des limites humaines dans l’annonce de l’Évangile, il faut parfois sacrifier ce qui est annexe si cela ne correspond plus à la culture actuelle, tout en gardant l’Évangile (n°43).

Enfin, l’Église doit garder ses portes ouvertes. Nous retrouvons ici la tonalité de ce que le pape a évoqué dans l’un de ses discours sur « la douane pastorale ». « L’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile » (n°47). Comme le pape applique particulièrement cela au baptême et à l’eucharistie, nous mesurons bien la difficulté d’harmoniser cela avec des règles disciplinaires existant par ailleurs. Il sera difficile, à l’avenir, de faire l’économie de propos clairs sur ce point.

Le chapitre 2 invite à regarder le contexte dans lequel nous devons vivre et agir. Reprenant une catégorie théologique qui avait été mise à l’honneur à l’époque de Jean XXIII, le pape invite à prendre en considération les signes des temps, c'est-à-dire repérer les tendances du monde actuel et chercher comment l’Évangile les interroge.

Il énumère plusieurs refus (ou condamnations). Il refuse une économie de l’exclusion, où règne la loi du plus fort. Il repousse la doctrine fondamentale de l’économie libérale, prônant une auto-régulation de l’économie mais accroissant le fossé entre riches et pauvres ; il blâme l’idolâtrie de l’argent, qui est négation du primat de l’être humain ; il oppose le règne de l’argent et l’éthique. Il souligne comment l’injustice du système social que constituent l’exclusion et la disparité sociale agit comme un mal enraciné au cœur de la société et qui est finalement, pour la société, comme un germe de mort en son sein.

Quittant ensuite le domaine de l’économie, il énumère un certain nombre de défis culturels, qui agissent comme autant d’adversaires de la foi. Malgré cela, estime-t-il, l’Église demeure une institution crédible, notamment dans le domaine caritatif. Il stigmatise particulièrement l’individualisme répandu dans la société contemporaine, comme fragilisant notamment la famille.

D’autres défis encore, tiennent à l’inculturation de la foi. Cependant, le pape invite à ne pas mépriser une culture qui a été évangélisée. Elle a gardé des richesses de foi qui se traduisent notamment dans la piété populaire, thème auquel il revient à plusieurs reprises. Issu d’un continent où existent de très grandes villes, il consacre plusieurs paragraphes aux problèmes spécifiques qu’elles engendrent.

La 2e partie du chapitre est consacrée aux tentations qui peuvent assaillir les agents pastoraux. Plusieurs d’entre elles découlent de ce qu’il a déjà dénoncé auparavant : la culture individualiste et le relativisme. Le pape combat particulièrement ici la tentation de faire deux parts dans sa vie : l’une pour soi et l’autre pour l’Église, ce qui évite de se donner totalement au Christ. Même la spiritualité est perçue comme servant à un soulagement personnel, mais sans lien avec l’évangélisation. Ce sont « des spiritualités de bien-être ». Le relativisme conduit à modeler sa manière de vivre sur celle en cours dans la société. On va rechercher un confort personnel qui nous coupe de la relation aux autres. Or, en fait, c’est dans la relation à l’autre que nous rencontrons Jésus.

Ce repli sur soi conduit à « une acédie paralysante », une mélancolie, un manque de goût qui conduit à la routine, à l’absence d’initiative pastorale. Malgré les difficultés, il faut refuser « un pessimisme stérile ».

Plusieurs paragraphes sont également consacrés à « la mondanité spirituelle », la recherche d’une glorification devant les hommes. Le clergé est particulièrement visé au numéro 95, quand plusieurs attitudes sont épinglés : le soin excessif de la liturgie, qui mène à faire de l’Église un musée, un engagement dans la vie sociale, ce qu’on appelle “les mondanités”, ou bien encore le fonctionnalisme du manager “surbooké”. Le pape conclut : « Que Dieu nous libère d’une Église mondaine sous des drapés spirituels et pastoraux ! »

Une autre tentation des acteurs pastoraux, c’est l’entrée dans les querelles intestines. Le pape revient sur la question du sacerdoce réservé aux hommes. Sans se démarquer de la position de ses prédécesseurs, il invite à se demander si les crispations à ce propos ne viennent pas d’une assimilation du sacerdoce à un pouvoir et non à un service.

Comme on le constate, le pape procède souvent par opposition entre deux manières de vivre. On retrouve largement le jésuite dans tous ces propos.

Le chapitre 3, le plus long, porte sur l’annonce de l’Évangile. Celle-ci est, d’emblée, définie ainsi : « une prédication joyeuse, patiente et progressive de la mort salvifique et de la résurrection de Jésus-Christ » (n°110). Le pape explique d’abord que c’est à l’ensemble du peuple de Dieu qu’il incombe d’annoncer l’Évangile. On relève tel propos qui, s’il était appliqué aux formulations doctrinales, pourrait laisser entendre que certaines, qui ont recours à des catégories philosophiques déterminées, pourraient être revues un jour : « En évangélisant de nouvelles cultures ou des cultures qui n’ont pas accueilli la prédication chrétienne, il n’est pas indispensable d’imposer une forme culturelle particulière, aussi belle et antique qu’elle soit, avec la proposition de l’Évangile. » (n°117)

On notera ici l’insistance sur la piété populaire qualifiée d’« expression authentique de l’action missionnaire spontanée du Peuple de Dieu » (n°122), avec une invitation au clergé de ne pas la considérer avec mépris, comme une religion « naturelle ». L’évangélisation se fait aussi par le dialogue interpersonnel, mais le pape souligne aussi l’importance du charisme et de l’insertion de l’évangile dans les cultures, professionnelles, scientifiques et académiques.

Deux parties du chapitre sont consacrées à l’homélie, pour laquelle le pape multiplie les conseils, elle doit être faite dans « un esprit maternel et ecclésial » et minutieusement préparée.

Le pape insiste sur le kérgyme, la première annonce, sans cesse à approfondir, qu’il résume ainsi : « Jésus Christ t’aime, il a donné sa vie pour te sauver, et maintenant il est vivant à tes côtés chaque jour pour t’éclairer, pour te fortifier, pour te libérer. » (n°160) Il invite à développer « l’art de l’accompagnement », qui se traduit dans une écoute respectueuse, dans la proximité, dans une attitude patiente.

Le chapitre 4 porte sur la dimension sociale de l’évangélisation. Le kérygme, en effet, a un contenu inévitablement social : au cœur, il y a la vie communautaire et l’engagement avec les autres. Le pape énumère les passages de l’Écriture montrant le lien indissoluble entre l’accueil de l’annonce salvifique et l’amour fraternel effectif. La religion ne peut être reléguée dans la sphère privée. C’est en des termes forts que le pape invite à écouter le cri des pauvres. Il ne s’agit pas seulement d’une aide matérielle à leur apporter, mais de leur donner la parole, de les écouter, comme des évangélisateurs : « Je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences, et à les mettre au centre du cheminement de l’Église. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux. » (n°198).

Le pape invite particulièrement à « avoir soin de la fragilité ». Il revient ensuite sur des questions déjà abordées au chapitre 2, la paix sociale notamment. Il développe là quatre idées : « le temps est supérieur à l’espace, l’unité prévaut sur le conflit, la réalité est plus importante que l’idée, le tout est supérieur à la partie. » (n°187)

Le dialogue social se déploie dans trois champs : avec l’État, avec la société et avec les autres croyants. Ce dernier point est particulièrement développé. C’est assez logiquement que, de ce point de vue, le chapitre se termine par plusieurs paragraphes consacrés à la liberté religieuse.

Dans le chapitre 5, le pape revient sur l’action de l’Esprit Saint dans l’œuvre d’évangélisation. Pour renouveler l’impulsion missionnaire, il faut « des évangélisateurs qui prient et qui travaillent » : ces deux composantes sont aussi importantes l’une que l’autre et l’oraison ne doit pas être une excuse pour la paresse (n°262). Marie est une figure d’évangélisatrice. Mais, note-t-il, « dans ce pèlerinage d’évangélisation, il y aura des moments d’aridité, d’enfouissement et même de la fatigue, comme l’a vécu Marie durant les années de Nazareth ».

3. La joie de l’Évangile

Comment pouvons-nous appréhender la joie de l’Évangile, ou plutôt la joie de l’évangélisateur ?

Le pape voudrait inviter les catholiques à se transformer et il brosse un double portrait, celui du catholique qu’il refuse et celui du catholique joyeux

a. Le catholique morose

 Le catholique morose – le mot n’y est pas, mais comment qualifier le catholique qui n’est pas joyeux ? – c’est d’abord celui qui ne s’est pas laissé transformer par la rencontre du Christ.

Il court le risque de « la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement » (n°1).

Un mot est tout de suite associé à la tristesse, c’est « l’individualisme ». C’est une forme de repli sur soi. Elle est induite par un « cœur bien installé et avare, la recherche des plaisirs superficiels, la conscience isolée ». Le pape oppose terme à terme la joie profonde, celle qui vient du Christ et « les plaisirs superficiels », qui restent en surface (et n’irriguent pas le cœur) et qui ne durent pas. « La société technique a pu multiplier les occasions de plaisir, mais elle a bien du mal à secréter la joie[7] ». On est tenté ainsi de poser un certain nombre de conditions pour accéder à la joie. Quelque part, il faudrait avoir des garanties sur l’avenir.

« La conscience isolée, l’auto-référence » (n°8), c’est un autre risque, qui découle là encore de l’individualisme qui coupe de la référence à la société.

Le catholique morose, c’est aussi celui qui se laisse gagner par les valeurs de la société. Le pape dénonce le processus de sécularisation (n°64). Il en énumère plusieurs composantes : la réduction de la foi et de l’Église au domaine privé et intime, la négation de la transcendance, l’affaiblissement du sens du péché personnel et social, l’augmentation du relativisme, notamment moral, la désorientation de la jeunesse, la présentation de l’Église comme préjudiciant à la liberté individuelle.

Le style de vie de ce catholique induit chez lui un certain nombre de comportements :

  • il n’y a plus de place pour les autres,
  • aucun accueil des pauvres,
  • aucune écoute de la voix de Dieu,
  • on n’éprouve pas la joie de recevoir son amour,
  • ni l’enthousiasme de faire le bien.

Ce catholique morose court le risque d’être constamment insatisfait, de se vexer, de se mécontenter. Il aura « une tête d’enterrement » (n°10)

Mais surtout, ce que le pape lui reproche, c’est qu’il n’a plus le goût de prendre des initiatives. Et cela, ce n’est pas satisfaisant : « ce n’est pas une vie digne, correspondant au désir de Dieu pour nous, ni la vie dans l’Esprit. »

« Un cœur missionnaire est conscient de ces limites […]. Jamais il ne se ferme, jamais il ne se replie sur ses propres sécurités, jamais il n’opte pour la rigidité auto-défensive. » (n°45)

Le pape n’hésite pas à dénoncer un certain nombre de comportements des acteurs pastoraux : la coupure entre la spiritualité et l’action pastorale, le souci de ne pas se différencier des autres membres de la société, ce qui conduit au relativisme, voire à la dévalorisation du don de la vie en christianisme par rapport aux valeurs de la société (n°80), et, dans cette ligne, la valorisation des loisirs, du « temps personnel », ce qui conduit à un manque de dynamisme en pastorale, « l’acédie pastorale » et, au terme, à « une tristesse douceâtre, sans espérance[8] ».

Le pape semble avoir beaucoup médité sur cette « acédie pastorale », puisqu’il en énumère les causes de manière précise :

Cette acédie pastorale peut avoir différentes origines. Certains y tombent parce qu’ils conduisent des projets irréalisables et ne vivent pas volontiers celui qu’ils pourraient faire tranquillement. D’autres, parce qu’ils n’acceptent pas l’évolution difficile des processus et veulent que tout tombe du ciel. D’autres, parce qu’ils s’attachent à certains projets et à des rêves de succès cultivés par leur vanité. D’autres pour avoir perdu le contact réel avec les gens, dans une dépersonnalisation de la pastorale qui porte à donner une plus grande attention à l’organisation qu’aux personnes, si bien que le “tableau de marche” les enthousiasme plus que la marche elle-même. D’autres tombent dans l’acédie parce qu’ils ne savent pas attendre, ils veulent dominer le rythme de la vie. L’impatience d’aujourd’hui d’arriver à des résultats immédiats fait que les agents pastoraux n’acceptent pas facilement le sens de certaines contradictions, un échec apparent, une critique, une croix. (n°82)

Nous sommes là au cœur de ce qu’il reproche à certains acteurs pastoraux qui, au lieu de porter un message joyeux et dynamique, instillent de la tristesse :

Appelés à éclairer et à communiquer la vie, ils se laissent finalement séduire par des choses qui engendrent seulement obscurité et lassitude intérieure, et qui affaiblissent le dynamisme apostolique. (n°83)

L’une des causes de cette tristesse, de cette routine et de ce manque de dynamisme, c’est l’insistance sur les échecs de l’évangélisation. Or, nous dit le pape, la prise en considération de l’histoire invite à relativiser ces échecs[9] : « Le mauvais esprit de l’échec est frère de la tentation de séparer prématurément le grain de l’ivraie, produit d’un manque de confiance anxieux et égocentrique » (n°85).

Rappelant que le disciple du Christ est toujours tourné simultanément vers Dieu et vers les autres, le pape n’hésite pas à dénoncer certaines attitudes que l’on voit parfois valorisées dans les milieux religieux : le retour au sacré et la recherche spirituelle (cela peut être ambigu, n°89), le soin excessif de la liturgie, faisant de l’Église un musée, l’engagement excessif dans la vie sociale, forme de « mondanité spirituelle », le fonctionnalisme de manager (n°95), l’enfermement dans des querelles intra-ecclésiales (n°98-101).

b. Le catholique joyeux

 C’est le catholique qui s’est laissé transformer par la rencontre du Christ.

Ce sont les premiers mots du document : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. » (n°1)

Cette joie est durable et elle se renouvelle sans cesse : « elle naît et renaît toujours », parce qu’elle est entretenue par la présence de Jésus-Christ. (n°1)

« Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus Christ. » (n°120)

Le chrétien fait l’expérience personnelle de la vie avec Jésus. « Le véritable missionnaire, qui ne cesse jamais d’être disciple, sait que Jésus marche avec lui, parle avec lui, respire avec lui, travaille avec lui. » (n°266)

Il est pleinement intégré au peuple de Dieu (n°271). La prière, dans sa vie, est essentielle : « Quand un évangélisateur sort de sa prière, son cœur est devenu plus généreux, il s’est libéré de l’isolement et il désire faire le bien et partager la vie avec les autres. » (n°282)

Le pape invite à ne pas avoir peur d’aller à la rencontre de Jésus : « personne n’est exclu de la joie que nous apporte le Seigneur[10] ». La miséricorde divine ne se lasse pas. La joie est offerte aux pauvres, aussi bien qu’à des gens très occupés, s’ils gardent « un cœur croyant, généreux et simple ». (n°7)

En contrepoint de « l’installation », du « confort égoïste », le pape prône la « sortie », à la suite des grandes figures de l’Ancien Testament : Abraham, Moïse, Jérémie, et en réponse à l’appel de Jésus : « Allez ! » C’est une invitation à se désinstaller à la suite du Christ : « Quand la semence a été semée en un lieu, il ne s’attarde pas là pour expliquer davantage ou pour faire d’autres signes, au contraire l’Esprit le conduit à partir vers d’autres villages. » (n°21).

Cette démarche de sortie de l’Église est, pour le pape, une attitude fondamentale, et non pas adventice : « Fidèle au modèle du maître, il est vital qu’aujourd’hui l’Église sorte pour annoncer l’Évangile à tous, en tous lieux, en toutes occasions, sans hésitation, sans répulsion et sans peur. » (n°23)

Il invite à prendre des initiatives, en se laissant guider par l’Esprit : « Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande. » (n°20) (voir aussi n°259) C’est une démarche éminemment spirituelle, de remise de soi à la Parole de Dieu : « L’Église doit accepter cette liberté insaisissable de la Parole, qui est efficace à sa manière, et sous des formes très diverses, telles qu’en nous échappant elle dépasse souvent nos prévisions et bouleverse nos schémas. » (n°22)

À plusieurs reprises, dans le document, le pape revient sur la nécessité de la patience qui remédie à la tentation du découragement. Cette patience s’encourage par la prise en considération du bon grain, même s’il est mélangé à l’ivraie, par la prise en considération des « petites victoires ». (n°24)

Dans l’annonce de l’Évangile, le catholique joyeux éveille les autres à la joie, en les ouvrant au dynamisme de l’Évangile, et non pas en les enfermant dans une multiplicité de consignes qui voilent l’essentiel. En morale, par exemple, ce qui est premier, c’est la charité et la miséricorde (n°35-37). Il n’hésitera pas à adopter des formulations renouvelées pour atteindre ses contemporains dans leur langage et leur culture (n°43).

Le catholique évangélisateur place l’homme au premier rang, et cela par rapport, notamment, à l’économie[11].

Il est tourné simultanément vers Dieu et vers les autres.

Le catholique joyeux, comme évangélisateur, va accompagner son frère. L’accompagnement vise à conduire vers Dieu, ce qui se fait par ouverture à la personne du Christ. Le pape pointe ici les dangers d’un faux accompagnement qui ne serait pas conjoint avec un décentrement de soi-même : « [Certains] cessent d’être pèlerins et se transforment en errants, qui tournent toujours autour d’eux-mêmes sans arriver nulle part. L’accompagnement serait contreproductif s’il devenait une sorte de thérapie qui renforce cette fermeture des personnes dans leur immanence, et cesse d’être un pèlerinage avec le Christ vers le Père. » (n°170)

Le catholique joyeux porte le souci des pauvres. « Ce que l’Esprit suscite n’est pas un débordement d’activisme, mais avant tout une attention à l’autre » (n°199). Il doit viser à leur intégration sociale ainsi que la paix et le dialogue social. Il s’engage dans le combat social : « Une foi authentique – qui n’est jamais confortable et individualiste – implique toujours un profond désir de changer le monde, de transmettre des valeurs, de laisser quelque chose de meilleur après notre passage sur la terre. » (n°183)

c. Paroisses et mouvements

 Les deux attitudes du catholique se retrouvent au niveau du clergé et au niveau des structures ecclésiales. Celles-ci doivent être animées par une authentique vie évangélique.

« La paroisse ne doit pas être « une structure prolixe séparée des gens ou un groupe d’élus qui se regardent eux-mêmes » (n°28). Elle ne doit pas s’enfermer dans une routine pastorale, mais être audacieuse et créative en ce qui concerne les méthodes d’évangélisation.

Chaque structure ecclésiale doit être accueillante :

Nous nous comportons fréquemment comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs. Mais l’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile. (n°47)

À vrai dire, le paragraphe qui évoque les mouvements d’Église (n°29) est peu original et paraît assez secondaire. Les mouvements sont d’ailleurs cités au milieu d’autres structures ecclésiales : « autres institutions ecclésiales, communautés de base et petites communautés, mouvements et autres formes d’associations ». S’il est dit qu’ils sont « une richesse de l’Église » et si leur apport est rapidement mentionné – « souvent elles apportent une nouvelle ferveur évangélisatrice et une capacité de dialogue avec le monde qui rénovent l’Église » – l’insistance porte, de toute évidence, sur leur harmonisation avec la pastorale d’ensemble. Peut-être pourtant, au n°132, peut-on retrouver une autre utilité aux mouvements, celle du dialogue avec les cultures, y compris professionnelles, de façon à développer « une apologétique originale », expression peu encourageante, mais qui est heureusement bien explicitée : « qui aide à créer les dispositions pour que l’Évangile soit écouté par tous. »

 


[1] Il a publié, le 29 juin 2013, l’encyclique Lumen fidei.

[2] 13 références à la Somme théologique et une à la Somme contre les gentils.

[3] Quiles, jésuite (Philosophie de l’éducation personnaliste), V.M. Fernandez et

[4] Les trois textes les plus cités sont Lumen gentium (7 réf.), Gaudium et spes (4 réf.), Unitatis redintegratio (3 réf.), Dei Verbum (2 réf.), Christus Dominus, Inter mirifica, Ad gentes (1 réf.)

[5] Viennent ensuite Populorum progressio (26/3/1967) (4 réf.), Gaudete in domino (9/5/75), Ecclesiam suam (6/8/64), Octogesima adveniens (14/5/71) (2 réf.)

[6] Cela répond bien à ce qui est dit au numéro 16 de l’exhortation : la nécessité de progresser dans une décentralisation salutaire, la subsidiarité avec les épiscopats locaux.

[7] Paul VI, ex. ap. Gaudete in Domino, 9 mai 1975, citée ici n°7.

[8] Bernanos, Journal d’un curé de campagne, cité ici n°83.

[9] Le pape cite ici Jean XXIII dans son discours d’ouverture du concile Vatican II (n°84).

[10] Paul VI, ex. ap. Gaudete in Domino, 9 mai 1975, citée ici n°3.

[11] On note les attaques directes du pape contre le libéralisme (n°54, 204).

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