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jeudi, 29 mars 2007 01:00

La neutralité, c'est-à-dire ?

Écrit par

Neutralité, sens et valeurs. Un enseignant peut-il être absolument neutre ?
Suivi d'un compte rendu d'atelier.

La question est provocante mais elle est sans doute salutaire. Elle ne concerne d’ailleurs pas seulement les catholiques mais bien tous ceux qui vivent dans un monde laïque.

Ce qui n’est pas en question c’est le sens premier de la neutralité laïque qui consiste à renoncer à faire du prosélytisme, c'est à dire à renoncer à être le porte parole de ses propres convictions, à renoncer à les faire partager aux élèves dont on a la charge. Ceci est le point de départ incontournable et l’on peut dire le socle inamovible de la laïcité scolaire. Mais il est vrai que cette réserve qui est demandée n’est pas toujours facile à pratiquer, qu’il s’agisse des convictions religieuses ou des convictions politiques plus souvent mises à l’épreuve lors d’une grève d’élèves par exemple: quelle attitude avoir : réprobation ? soutien ? dialogue ? fausse indifférence ( est-ce cela la neutralité ?) ?

Mais il y a une façon de vivre la neutralité qui fait qu’on est comme neutralisé. La neutralité est alors vécue comme une sorte de neutralité existentielle qui conduit à dépersonnaliser la relation à l’élève. On peut en effet pousser la neutralité jusqu’à éteindre en soi la relation que l’on entretient au fond de soi même avec ce qui fait vivre, avec ce qui donne sens à sa vie. Comment, si l’on ne s’appuie pas en soi sur ce qui fait vivre , quelles que soient d’ailleurs les convictions, comment s’engager vraiment dans une relation éducative? En effet, enseigne-t-on au sens complet du terme si l’on occulte complètement en soi la question du sens , la question de ce qui fait vivre ? Si l’enseignant accepte de renoncer à donner sa réponse à la question du sens pour préserver la liberté de l’élève, il doit aussi veiller à ne pas occulter cette question en sa personne même. Car l’occulter n’est-ce pas la rendre indiscernable pour les élèves alors qu’au contraire leurs enseignants doivent les conduire jusqu’à la prise de conscience que la question doit être posée et qu’ils auront à y répondre , chacun, personnellement ? Or cette prise de conscience de la question du sens se fait surtout par la médiation de ce que l’on est et donc dans la relation à l’élève. Et il faut bien reconnaître que cela est vécu le plus souvent de façon inconsciente. Ce n’est souvent qu’après coup, en rencontrant d’anciens élèves, que l’on apprend qu’ils ont été marqués par telle ou telle attitude : rigueur dans le travail, façon de punir, de noter, de faire des remarques sur le comportement. La prise de conscience de la question du sens se fait également à travers la présentation de différents contenus enseignés, mais elle est alors posée sur le plan intellectuel, alors que dans la relation elle est perçue au niveau existentiel.

On touche ainsi du doigt qu’il ne saurait y avoir de démarche éducative laïque sans un engagement des éducateurs pour des valeurs qui orientent la vie et la font humaine. Savoir se poser la question du sens renvoie à une conception de l’homme qui le crédite d’une liberté grâce à laquelle il va orienter sa vie selon ce qu’il aura jugé de meilleur. Laisser percevoir que l’éducateur que l’on est, est engagé dans une telle perspective c’est aider les élèves à prendre en considération cet usage de leur liberté dans l’élaboration de leurs convictions. N’est-il pas important alors de se demander, dans les situations concrètes de l’enseignement, si les attitudes adoptées sont vraies ou si elles « neutralisent » la personne dans celui qui les adopte? Ne serait-il pas important de se poser aussi cette question avec d’autres collègues issus d’autres sources d’inspiration que la notre ?

Dans le même sens, enseigner ne consiste pas seulement à transmettre une technique ou des savoir-faire ou des connaissances, mais à transmettre à travers ces connaissances un monde culturel humanisant, et donc à faire entrer dans une culture, c’est à dire dans un monde commun qui vaut la peine parce qu’il permet de devenir plus humain et de le devenir avec d’autres. Il me semble que des enseignants chrétiens auraient besoin de se redire, entre chrétiens, mais aussi avec ceux qui viennent d’autres sensibilités, ce qui leur paraît porteur d’humanité dans le contenu qu’ils transmettent. Il serait bon de nous demander si nous savons faire découvrir cette dimension aux élèves à travers les enseignements dispensés, et si nous ne pourrions pas promouvoir des actions pédagogiques à plusieurs dans ce sens.

Il faut bien reconnaître que l’acte d’enseigner requiert une capacité d’engagement et d’implication. S’il n’est pas possible d’enseigner sans s’impliquer , sans s’engager pour quelque chose de valable, c’est bien qu’on ne peut rester neutre au sens où l’enseignement ne serait porteur d’aucune valeur humaine commune.

 

MFTinel, le 29 mars 2007

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La Baume les Aix – 28 avril 2007 – Atelier "neutralité"


1° Les deux positions extrêmes sont défendues par des personnes différentes : les unes adhèrent toujours à la réserve qui nous est demandée par rapport à nos convictions religieuses et politiques. Dire qu'on est catholique serait du prosélytisme. Une personne au contraire défend la position qu'il est possible de dire son appartenance dans certaines conditions, et surtout en ayant une certaine distance par rapport à cette affirmation. Cette attitude est présentée comme possible en fonction de la maturité des élèves, alors que souvent "on n'ose pas" dire ce que l'on est.


2 D'une façon générale, nous reconnaissons que nous ne sommes jamais neutres : d'abord dans nos pratiques, dans nos façons d'être avec nos élèves. On promeut dans nos façons d'agir une manière d'être humains ensemble. Un collègue instituteur développe la logique de son action éducative : le vivre ensemble demande aux enfants de se respecter, de s'écouter. Le maître est ce tiers qui permet que la parole circule et que l'on cherche des solutions aux conflits(qu'est-ce qui s'est passé qui fait que c'est tendu entre vous cette semaine, etc.) Il est clair que cela nous impose d'être en adéquation avec tout ça, c'est à dire d'accorder le dire et le faire : écouter les élèves, "même s'ils nous gonflent", ne pas avoir de jugement interprétatif, avoir le sens de la justice, apprendre à travailler ensemble.
Mais c'est aussi par rapport au contenu de ce que nous enseignons qu'il y a des choix à faire (soit dans les programmes officiels, soit dans notre sélection personnelle). Il nous semble important de faire apparaître ces choix, d'en prendre conscience, de pouvoir en donner les raisons, de montrer que tout ne se défend pas. Cela invite à la distance critique par rapport à soi même et à une pratique du débat dont nous n'avons pas vraiment l'habitude.


3° D'une façon générale les élèves sont sensibles à la question du sens. Ils recherchent des témoignages. L'enseignement du fait religieux est rencontré ici : on remarque un impérieux besoin de formation des enseignants sur les religions. Ainsi une institutrice utilisait le calendrier de l'Avent pour apprendre à lire à ses élèves, sans aucune connaissance du contexte religieux de ce document. Même question pour l'utilisation abusive de Halloween. Importance de l'enseignement de l'histoire également.
Nous devons apprendre à nos élèves à porter des jugements et non à être neutres ("On est là pour que des plantes puissent grandir !"), et tout n'est pas équivalent.


4° Le risque est grand qu'on se laisse impressionner par le principe d'autorité (on prend le livret de maths prôné par l'inspecteur, même si l'on sait qu'il comporte des erreurs). Ou bien à l'inverse que l'on soit trop autoritaire, convaincu d'avoir raison, incapable de renoncer à une synthèse totalisante, incapable de laisser le débat ouvert. On rencontre aussi des comportements surprenants : ainsi dans un collège l'antisémitisme de certains élèves, dénoncé par l'enseignant, est excusé et admis parce que "c'est dans leur culture !"...

 

 

 

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