Ces jours-ci n'ont pas été roses, mais plutôt gris :
la semaine écoulée, après le Conseil de Classe de 2nde 4, j'ai eu le soir plusieurs rendez-vous avec des parents d'élèves (7, comme dans le jeu des 7 familles) à qui je dois annoncer (et expliquer) pourquoi leur enfant ne peut pas (pour le moment, ou pas du tout) passer dans la filière souhaitée, et même pour certains qu'il faut envisager autre chose (filière technologique, voire Bac Pro). Ce n'est ni facile à dire, à présenter pour le professeur principal que je suis, ni facile à entendre, pour l'élève et ses parents. Évidemment c'est une déception (à défaut d'une surprise... le bulletin du 1er trimestre tirait souvent déjà la sonnette d'alarme !) pour certains ou pour tous, et une "blessure narcissique" pour l'élève et pour les parents.
Certains parents ont eu des réactions agressives, ce que je peux comprendre, l'un m'a parlé d'une « exclusion du système scolaire », là où je parlais de réorientation, et de rechercher une « autre voie de la réussite » que la 2nde générale pour son enfant. En creusant un peu, en écoutant, cela réveille en fait chez ce père la douleur d'avoir été lui-même « orienté » comme il dit, sans préciser où, mais en employant le mot dans le sens de « rejeté, écarté, presque proscrit », en tout cas c'est cela que j'entends. La fin de l'entretien a été plus sereine, bien que le début ait été agité ; et plus tard dans la soirée, j'ai la bonne surprise de recevoir deux courriels, l'un de la mère (les deux parents sont séparés), qui s'excuse, l'autre du père, qui n'emploie pas ces mots, mais l'intention y est. Je réponds en apaisant, en disant que j'ai bien compris que j'étais pas attaquée en tant que personne, mais en tant que représentante de l'institution scolaire, laquelle a ses lourdeurs, ses maladresses, et aussi, il faut bien le reconnaître, ses insuffisances... Nouveau courriel de soulagement du père, qui me confirme que c'est bien cela, que j'ai bien compris, et qui s'excuse cette fois.
Les autres rendez-vous ont été plus calmes, mais on sent du désarroi ( "Qu'aurait-il fallu faire ? Que faut-il faire à présent, qui voir, vers quoi se tourner ?" ) ; je conseille du mieux que je peux, j'oriente vers la COP du lycée ou le CIO du coin, j'essaie de faire dire au jeune ce qui l'attire, ce qu'il aimerait faire, dans quoi il se voit "plus tard" (mais à 15-16 ans, c'est bien difficile...).
Quand je rentre chez moi, après ce type de rendez-vous, la question me taraude : "que faire ? Qu'aurais-je pu / dû faire ? (oui, c'est un peu tard pour se la poser, parfois...) Et que puis-je encore faire ?" ; et je me sens souvent bien impuissante devant une situation "compliquée" (par exemple des problèmes de famille, ou un handicap chez le jeune) ; ou devant un manque total de motivation (alalaa : "Comment remotiver ? Donner le goût du travail ?" Vaste question... à laquelle nous devrons aussi parfois répondre, vaille que vaille, en Tutorat...) ; ou devant des lacunes énormes qui sont installées depuis longtemps et qu'il est impossible de combler au cours du seul 3ème trimestre, voire au cours de l'année de 2nde...
Mercredi matin, vers 11h30, je vois, depuis la salle des profs, une élève de 1ère L (c'est l'une de mes classes) dans la cour, assise seule sur un banc, et qui pleure discrètement ; je la vois de trois quarts, elle est prostrée, et apparemment se tamponne les yeux par moments. Ayant un peu hésité, je sors de la salle des profs, me dirige vers elle, m'assois sur le banc à côté d'elle : « Ça ne va pas ? ». Question idiote (c'est évident que ça ne va pas), mais qui aura peut-être le mérite de faire démarrer des confidences, si elle a envie de me parler... Elle pleure plus fort, je lui pose une main sur le genou, les sanglots redoublent, alors je la prends dans mes bras, comme si c'était ma fille, toute parole semblant dérisoire tant que je ne sais pas ce qui motive ses larmes. Finalement deux de ses amies ou camarades de classe s'approchent, elle pleure moins fort, se calme, et à sa demande je les ai laissées toutes les trois. Évidemment, j'ai pensé à elle et prié pour elle, pendant cette heure d'intercours. Un peu plus tard, recroisée dans la cour, elle me confie "vite fait" que de mauvais résultats scolaires, un « bulletin nul » et une rupture sentimentale (ou en tout cas une grosse dispute avec le copain, je n'ai pas exactement saisi, et pas demandé de précision si elle ne voulait pas en donner...) étaient la cause de ces larmes, mais que « ça irait, et merci madame »...
dessin de Lace-cys, en attente d'autorisation, visible sur le site http://drawspeedart.blogspot.fr/
Les soucis de santé d'un proche sont aussi une raison de s'inquiéter, de voir tout en noir ; mais l'amour mutuel, de bons moments encore passés ensemble, l'évocation du passé, du présent de toute la famille... font que nous avons ri, souri, et somme toute passé un bon week-end de Pâques tous les deux. Même si « le jour baisse », comme le dit l'évangile des disciples d'Emmaüs, le Seigneur est toujours avec nous sur la route :
Un courriel syndical m'annonce, sans aucune explication, que, pour une promotion attendue, « ma candidature n'a pas été retenue » ; sur le coup je me suis sentie très déçue. Cela a un peu rouvert la "blessure narcissique" (y' a pas que les élèves ! J) d'avoir terminé mes études, certes avec la bi-admissibilité, mais sans être agrégée... Mais ce matin, en revenant sur ce courriel, le fait de lire ceci à quoi je n'avais pas prêté tout de suite attention : "Avis du chef d'établissement : Très favorable" m'a mis du baume au cœur, énormément même ! Je suis reconnaissante à ma Proviseure de sa confiance et de son soutien. Je tenterai à nouveau le coup l'année prochaine, puisqu'elle m'a expliqué (et convaincue) qu'il fallait le faire sans se décourager. J'espère qu'à ses moments gris ou de blues (et en tant que chef d'établissement, je pense qu'elle doit porter plus de soucis que nous !), elle sait où trouver soutien et réconfort, et aussi et surtout des raisons d'espérer ! Elle est attentive à chacun-e- au lycée, et essaie toujours de sourire, d'encourager, d'être présente et de soutenir tout le monde... C'est absolument inestimable.
Qui soutient ceux qui nous soutiennent ? Et qui nous permettent de "fleurir" ?
Et là-dessus : « le jour de Pâques est arrivé / Dans la lumière // Et le printemps s'est réveillé / Sur notre terre // Et dans nos cœurs ... et dans nos cœurs ! »
-> écouter ! (chanson de Mannick et Jo Akepsimas, album "Comme un câlin")