Et voilà, copies de Bac (français, en 1ère) rendues, diverses réunions terminées, année finie, vacances qui commencent. Et un nouveau venu s'installe et envahit mes journées : le silence.
Un peu désarçonnant, après la course de ces derniers jours, un peu déroutant (je lui laisse peu de place dans ma vie, d'habitude, moi la bavarde), mais bienvenu. Comme une vieille connaissance, et un étranger : il faut s'y réhabituer.
Silence de la correction solitaire, chez moi, des copies de Bac après les oraux, les candidats agités et bavards dans les couloirs, voire hâbleurs (pour masquer l'angoisse ?) ou fébriles et mutiques, serrant convocation et pièce d'identité comme un viatique, me tendant leur "Descriptif" (liste des textes étudiés, livres lus et activités menées dans l'année) comme un agneau tend sa tête à l'abattoir (bon, là j'exagère un chouya...). Là, sur chaque copie, seule l'écriture, ferme et assurée ou gribouillis quasi-illisible me "parle". Pas de visage ni de voix, mais j'imagine sans peine l'adolescent-e- penché-e- sur sa copie, ses lignes, le jour de l'épreuve écrite, car j'en ai surveillé plusieurs. Silence et concentration pour eux qui écrivaient, pour moi qui lis et évalue. Accueillir, écouter ce qu'ils ont à dire sur le texte, le sujet ; ne pas décorer la marge de « ! » railleur ou d'un « ? » énervé, de « mais non » agacé ; chercher le positif (alors que je "vois" si facilement ce qui manque, qui est erroné, maladroit...). Dégager la remarque intelligente de la gangue des fautes d'orthographe. En fin de paquet, reprendre toutes les copies, comparer, réfléchir, inscrire la note définitive "en mon âme et conscience" (?!). Retranscrire toutes les notes sur le bordereau. Ranger le paquet, à rendre le lendemain. En silence.
Réunions : agitation de la réunion du "jury" le jour du retour des copies et de l'harmonisation des notes : chacun décline ses notes maximale, minimale, moyenne et médiane, sujet par sujet (il y en a 3 au choix, en français) ; j'ai cru qu'on allait aussi nous demander les "quartiles" ! Remarquez que ce ne serait pas idiot, on a une meilleure vue de la ventilation de nos notes : ça fait réfléchir sur notre façon d'évaluer, le "combien mérite une très bonne copie" ; sur la "constante macabre" (A. Antibi) et la fameuse courbe de Gauss. Chacun remplissait son tableau (de répartition des notes) et faisait ses petites croix et ses calculs (mais en bavardant : les profs ne savent pas travailler en silence, dès qu'il y en a 2, ça papote). Et puis chacun y allait de son anecdote d'oral (« Y'en a un qui m'a dit, tenez-vous bien... ») ou sa "perle" d'écrit (je n'ai pas à faire ma maligne, je les collectionne moi aussi).
Silence qui s'est installé tout à coup en conseil d'enseignement (de lettres), au milieu du brouhaha, quand j'ai dit « Bon, avant de passer aux vœux et demandes de chacun-e- sur les services, je pense qu'il faudrait poser tout de suite la question qui fâche : qui va prendre les classes de STMG (séries technologiques) et de BTS l'an prochain ? Autant régler cela tout de suite, on verra pour les autres classes après. » Évidemment, les classes "difficiles," c'est-à-dire les publics pas du tout acquis à la cause du français, de la littérature, de la culture générale, personne n'en veut, personne n'est maso ! On se les répartit parce qu'il faut, plusieurs veillent d'ailleurs à ce que cela tourne... et à ce qu'on ne les laisse pas généreusement à celui ou celle qui arrive ! Mais d'autres "ne se sentent pas" de les prendre, verront l'année prochaine... Silence aussi quand j'ai demandé qui prenait ma succession comme coordinatrice de la discipline ; c'est un "service" à rendre (ce n'est pas rémunéré) et là aussi il faut que cela tourne, que chacun-e en prenne sa part, au fil des ans. Bon, dans les 2 cas, cela a fini par venir, mais "tout doucement"...
Silence à mon bureau (qu'il faut ranger : quel bazar !), quand je commence à cogiter sur "mes" classes de l'an prochain, leur probable niveau selon les sections, et donc les œuvres et textes envisageables... Je ne connais pas encore "leurs" visages, mais "ils" sont déjà bien là, présents dans mes pensées, ces futurs élèves, avec lesquels j'espère bien m'entendre. M'écouteront-ils ? Saurai-je prêter l'oreille à leurs aspirations, leurs humeurs, leurs récriminations ? Pour l'instant, je les fantasme, les imagine, je prévois de "leur" faire lire ceci, "leur" faire faire cela... mais la scène est vide, la salle aussi, le théâtre de mes cours a fait relâche (sauf dans ma tête). Dans quelques jours, quand je serai installée dans un gîte de montagne, même ce "petit cinéma mental" ralentira et cessera ... pour reprendre une ou deux semaines avant la rentrée.
Silence de la lecture : je prépare mes "livres d'été" à emporter en vacances (et en ai déjà commencé ou feuilleté). § Ceux pour le travail : lire ou relire ceux que je compte faire lire à mes (futurs) élèves ; et lire au moins un ouvrage de psycho-pédagogie, comme chaque année, pour cogiter sur ma pratique et me remettre en question, ou suivre les avancées et la réflexion dans ce domaine. (cette année ce sera L'éthique relationnelle, une boussole pour l'enseignant, de Marsollier et alii, édité chez Canopé) § Ceux pour le plaisir intellectuel, pour l'esprit dirai-je : travailler une œuvre nouvelle (roman, essai, pièce de théâtre) est pour moi l'occasion de lire ou relire quelques ouvrages universitaires, de critique, de me délecter d'interprétations enrichissantes (même si certaines volent trop haut pour que je les partage avec mes élèves, mais c'est pour moi, je "butine" et "fais mon miel" pour mieux cerner et apprécier une œuvre, pour refaire connaissance avec un auteur). § Ceux pour la détente (des romans surtout, empruntés en médiathèque, ou prêtés, ou achetés : je me suis "fait le cadeau" des œuvres complètes de Jane Austen, pour cet été ; bon, en français, je ne vais pas frimer). § Ceux pour l'âme, enfin : une biographie de Simone Weil ; des livres de philosophie, spiritualité ; "profiter" vraiment des textes bibliques du jour grâce à Prions en Église... Tous ces derniers ouvrages ou textes prendront un "relief" particulier, face aux paysages pyrénéen, lus, médités, savourés à l'ombre ou au soleil, dans le silence très animé du gave qui coule, des abeilles ou des grillons, des gros patous aboyant après leur troupeau...
Sans tous ces silences des vacances, comment pourrais-je « enseigner » et tenir toute une année scolaire ? Sans mon silence, moi qui cause toujours, comment le Seigneur pourrait-il venir me parler ?