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mardi, 28 juin 2011 08:03

Analyse d'un manuel

Écrit par

Comment un éditeur interprète le programme.
Regards sur le chapitre 9, « Devenir homme ou femme » du manuel de Hachette[1].

 

Le texte est foncièrement ambigu. D'un côté, ses affirmations prises à la lettre et une à une sont exactes ; de l'autre ses silences et ses insistances orientent le texte dans une certaine direction. Ce que j'appellerai l' « effet de convergence ».

Ce qui est indéniable : la différence entre « être un individu sexué » et avoir une « identité sexuelle ». Il est vrai que la seconde ne découle pas seulement du « sexe biologique », celui-ci n'étant pas si homogène qu'on le croit. Il y a donc une part d'interprétation dans l'affirmation « je suis un garçon » ou « je suis une fille ». Et il est vrai que cette interprétation passe par des modèles sociaux.

Une phrase comme celle-ci est incontestable : « L'identité sexuelle est un long processus d'imitation, d'éducation et d'apprentissage et se modèle à partir des représentations que l'enfant intériorise sur la façon dont il doit penser et se comporter comme être sexué. »

Est juste aussi la différence entre « identité » et « orientation ». S'identifier comme homme ou comme femme est une chose ; orienter son désir vers les femmes ou vers les hommes en est une autre, qui ne coïncide pas forcément avec la première.

Mais le texte insiste surtout sur une thèse et est éloquent par ses silences.

Le paragraphe cité plus haut se termine ainsi : « Seul sexe bien établi, le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, mais ce n'est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin. » La deuxième partie de cette phrase est à double tranchant. A la lettre, cela est vrai. Mais le texte laisse entendre qu'entre être « mâle » et se qualifier de « masculin », comme entre être « femelle » et se qualifier de « féminin » il n'y a qu'une convention, un acte dont on souligne seulement l'écart avec l'appartenance corporelle. Le texte, toujours ne souligne que l'écart.

Dès le début, il est affirmé que l'identité sexuelle est «déterminée par la perception subjective que l'on ade son propre sexe et de son orientation sexuelle». Seul le versant « subjectif » est énoncé. De là à penser qu'elle est purement subjective...

La suite le confirme : « l'identité sexuelle selon les auteurs peut être une simple construction de l'esprit ou correspondre àdes traits liés aux attributs sexuels influencés par les attentes de la société et les normes culturelles».

Au subjectif s'ajoute le culturel. Mais tout serait subjectif ou culturel. L'ancrage biologique est négligé (ce qui est paradoxal dans un manuel de biologie !).

A la fin du chapitre, deux colonnes se font face : dans l'une on décrit avec minutie le développement du « sexe biologique ». Dans l'autre il est souligné principalement que chez les « primates supérieurs », le développement sexuel s'affranchit des déterminismes biologiques.

On arrive alors à une simple juxtaposition des données biologiques et de « l'espace social ».

Aucune mention n'est faite de la relation du sujet à son corps, de l'appropriation de celui-ci, qui passe par le consentement à ses potentialités comme à ses limites. Rien de la symbolisation à partir du vécu sexuel masculin ou féminin : différence dans la manière de désirer, de jouir, d'enfanter.

Très tôt, aussitôt après les définitions élémentaires, il est question de l'hermaphroditisme ou de l' « intersexualité », auquel on consacre la moitié de la page, alors que la proportion de personnes concernées est de l'ordre de 1 pour 1000. Ce type de phénomènes a les faveurs de la culture actuelle. On peut se demander pourquoi.

L'orientation sexuelle est présentée comme définitive, alors que le choix homosexuel peut être passager (notamment lors de l'adolescence). Est validée la séparation de l'humanité en deux sous-ensembles : « hétérosexuels » ou « homosexuels ». La « norme hétérosexuelle » est une abstraction récente, visant à créer un effet de fausse symétrie entre « homos » et « hétéros ».

Dès lors, le choix d'orientation peut avoir lieu entre personnes « du même sexe ou non », comme s'il s'agissait d'un choix dans un supermarché.

Alors que la donnée première est la différence sexuelle. Entre l'appartenance à un sexe et le fait de désirer l'autre sexe, il n'y a pas seulement une relation de convention : que l'autre désiré appartienne ou n'appartienne pas au « sexe opposé » n'est pas symétrique ou indifférent.

Entre l'intégration de l'identité sexuelle (appartenir à un sexe) et l'orientation du désir vers l'autre sexe (différent et complémentaire), il y a continuité, passage, homogénéité.

Oui à une distinction entre « identité » et « orientation », non à une dissociation.

Il y a une souffrance et un manque propres au désir homosexuel, qui ne proviennent pas seulement du regard social, comme l'affirme l'idéologie gay, discours que le texte fait sien : « Une certaine souffrance peut ainsi prendre forme, qui est parfois davantage issue de l'acceptation par l'entourage et par la société que d'un mal-être personnel intérieur. » [Ici encore, affirmation indéniable, mais pointe perceptible.]

Certaines affirmations débordent nettement le cadre d'un cours de biologie. Elles devraient avoir leur place soit dans un cours de philosophie, soit dans un cours d'instruction civique. Par exemple : « Selon Chiland, l'être humain est une abstraction, seuls existent des hommes et des femmes'.Devenir un individu sexué fait partie intégrante de la construction identitaire». Que l'être humain soit une « abstraction » peut surprendre. On devine « l'existence précède l'essence », option existentialiste... Par ailleurs, dire que « seuls existent des hommes et des femmes » est une affirmation lourde de sens, qui renvoie à la question : qu'est-ce qu'être homme ou femme ? Le texte, impliquant en filigrane une phrase célèbre de Simone de Beauvoir, suggère qu'on le « devient ».

La quasi conclusion laisse aussi apparaître un choix et des silences : « Le mineur est libre de ses orientations sexuelles, c'est-à-dire qu'il peut avoir des relations sexuelles soit avec un homme, soit avec une femme. L'orientation sexuelle d'une personne fait partie de sa vie privée et en conséquence doit être respectée. »

Cela est vrai, mais que rien d'autre ne soit dit du contexte des relations, des valeurs, des enjeux moraux impliqués est un peu curieux. On voit la pointe, l'effet de convergence. Finalement, tout ce qui précède converge vers cette affirmation.

On peut conclure que le commentaire par le professeur, qui validera ces ambiguïtés, en les accentuant même, ou au contraire qui leur apportera un contrepoids, avec l'exercice de l'esprit critique, sera déterminant. On pourrait imaginer que, dans une école, le professeur de biologie se concerte avec ses collègues professeurs de littérature, instruction civique ou philosophie pour qu'ils problématisent les dimensions qui débordent en effet la biologie. Un des paradoxes de ce chapitre est bien là : il ouvre sur un au-delà du biologique, mais il ne le pense pas ou le pense en étant soumis aux catégories obvies de la culture actuelle - et vraisemblablement au contexte des gender studies, qui développent des thèses encore plus discutables, non énoncées ici, mais dont les prémices sont présents.

Xavier Lacroix 
Université catholique de Lyon
 
Comité consultatif national d'éthique

Auteur de La confusion des genres (Bayard 2005) et De chair et de parole (Bayard 2007).

 


[1] Adeline ANDRÉ et alii, Sciences 1res L/ES, (Collection Dulaurans et Desormes), Paris, Hachette éditions, 2011, p. 170-172.

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