Comprendre et accompagner les jeunes dans leur rapport au temps, au corps et à l'autre. Compte rendu de la rencontre du 29/04/2025, à Rouen.
La rencontre organisée autour d’Édith Tartar-Goddet sur le thème « Générations en mutations » a réuni, mardi 29 avril à Rouen, près de 25 personnes venues d’horizons divers avec, sans doute, une majorité d’enseignants.
L’intervenante, psychosociologue, autrice de plusieurs livres sur le monde des adolescents et animatrice de bien des sessions à ce sujet, a d’emblée proposé les règles du jeu : une rencontre participative où chacun pourra contribuer à la réflexion par ses remarques, questions et témoignages. Tous ont souscrit sans réticence à cette proposition et leurs nombreuses interventions ont réellement enrichi le débat. Cette méthode participative a été incontestablement un des points forts de la soirée et c’est sans doute ce type de dialogue interactif qu’il faudrait pratiquer avec les enfants à la maison et les élèves à l’école.
Édith Tartar-Goddet a passé en revue les principales mutations sociétales qui font que les adolescents d’aujourd’hui sont radicalement différents de ceux que nous avons été. Il est loin le temps où les jeunes étaient sous l’influence conjuguée de la famille, de l’école et de l’Église. On assiste aujourd’hui, en particulier à cause de l’invasion du numérique, à une multiplication des influenceurs, sans la moindre cohérence, qui contribuent parfois à des comportements pathologiques.
Dans notre société, l’enfant est devenu un interlocuteur à part entière auprès duquel aucune autorité toute faite ne s’impose : il ne s’agit plus d’avoir une autorité qui découlerait d’un statut -de parent, d’enseignant ou simplement d’adulte-, mais de faire autorité, ce qui est beaucoup plus difficile et sans garantie de succès. Les institutions sont décrédibilisées, le savoir et la science sont disqualifiés au profit de la pensée spontanée et des rumeurs diffusées par les réseaux sociaux, dont la répétition constante semble garantir la crédibilité. Le rapport au temps est transformé : la seule temporalité perçue est le présent, le passé est aboli, l’avenir hors de vue. Le privé et le public sont confondus, de même que le besoin et le désir.
On assiste ainsi à des transformations profondes de l’être des jeunes qui deviennent, dans le contexte de la société dans laquelle nous vivons, de véritables « mutants », sans que cette expression soit péjorative. Désormais l’individu passe avant le collectif, et il s’agit de se construire soi-même, en se donnant une identité visible au regard des autres : l’intime s’efface au profit de « l’extime ». Le corps devient un lieu de recherche de jouissance, marqué par l’immédiateté et l’excès. Seul ce qui est concret a une réalité, ce qui n’est pas concret est incompréhensible d’où une immense difficulté à conceptualiser. Avec les ressources que fournit le numérique, la mémoire elle-même semble devenir inutile.
On le voit, devant de telles mutations le rôle des éducateurs, parents ou enseignants est immense. Mais comment faire car il n’y a aucune recette susceptible de fonctionner ? Tout au plus peut-on suggérer certains principes et rappeler d’abord que la bientraitance, à l’égard de soi-même et de l’autre, est une nécessité : ce n’est qu’en prenant soin de soi-même qu’on peut prendre soin de la personne du jeune. Il faut composer avec des ados mutants, les aider à mettre des mots sur leur ressenti, à conscientiser les identités et les convictions auxquelles ils adhèrent. Pourquoi ne pas mettre en place des conversations ou des débats en confiance, lieux d’un co-développement entre adultes et enfants ? Enfin et c’est peut-être le maître mot de toute éducation il faut faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait.
Les quelques éléments qui précèdent ne donnent qu’une faible idée de la richesse de ce qui a été exposé et de ce qui s’est échangé. Chacun est reparti enrichi de cette soirée qui s’est déroulée dans un climat d’écoute et de respect mutuel pour la plus grande satisfaction de tous. Gageons que la réflexion ainsi initiée se prolongera et portera de nombreux fruits, surtout si elle peut se développer et s’amplifier dans un travail en groupes, de parents et/ou d’enseignants.
Jean-Louis Gourdain