7437D0CC AA1A 4DAA 81D9 54A4B898DB911Le temps est déja à la préparation de l'été, avec les premières annonces de nos sessions à déstination de tous!

Étranges vacances !

11 avril 2020 By

Petites pensées confinées

Décidément, quelle étrange année scolaire ! Que d’événements inhabituels, imprévus, déroutants l’auront jalonnée ! Et nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises, bonnes ou mauvaises…

Le premier trimestre avait déjà apporté son lot de nouveautés – plus ou moins heureuses – et d’interrogations – plus ou moins douloureuses – avec l’entrée en vigueur de la réforme du lycée. Je n’y reviens pas, l’ayant déjà évoquée dans mon précédent billet. Si ce n’est pour confirmer qu’une conjonction de mécontentements a favorisé, dès le début du mois de décembre, de nombreuses manifestations de désaccord et de résistance.

Mécontentement vis-à-vis des désormais fameuses E3C (épreuves communes de contrôle continu), jugées inadaptées par bien des collègues quant à leur forme, leur niveau de difficulté, leurs modalités de mise en œuvre. Difficile, à vrai dire, de s’y retrouver dans le flot de critiques parfois contradictoires qui varient d’une discipline, d’un établissement, d’une sensibilité à l’autre. Mais on peut dire, sans risque de trop se tromper, que ces épreuves conçues comme un moyen terme entre un véritable contrôle continu dont la légitimité repose sur une confiance affirmée aux enseignants qui le pratiquent et une certification nationale entièrement contrôlée par le ministère n’ont guère rencontré d’adhésion. Elles ont même réussi à s’attirer autant de virulentes critiques de très prestigieux lycées parisiens que d’autres relevant de l’éducation prioritaire en zones sensibles. Elles se sont certes déroulées sans perturbations dans la majorité des cas, mais le nombre d’endroits où des incidents récurrents – et parfois graves – ont eu lieu est suffisamment important pour qu’on ne puisse se contenter de les traiter par l’indifférence, le déni ou le mépris. Dans mon lycée, il n’a pas fallu moins de trois sessions pour qu’à peine plus d’une moitié des élèves concernés composent, dans une atmosphère lourde de pressions diverses, mais riche d’initiatives collectives, mises en œuvre avec détermination et sans violence. Assez rare pour être remarqué : les rassemblements d’élèves sur le parvis n’ont rien eu à voir avec les « blocus » sauvages que nous avons pu connaître ces dernières années, dépourvus de revendications claires, assortis de dégradations et d’affrontements avec les forces de l’ordre.

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Mécontentement vis-à-vis des perspectives dessinées par la réforme des retraites pour les enseignants. Là encore, la contestation n’est pas univoque et les critiques très diverses, voire antagoniques. Pour ma part, je regrette notamment que la question de l’allongement de la durée des carrières ne soit pas accompagnée d’une vraie réflexion sur la fin de celles-ci. Le 3 octobre dernier, à Rodez, interpellé lors d’un grand débat public par une professeure de lycée à propos du montant moyen des retraites des enseignants, le président de la République élargissait sa réponse en abordant ce thème : « à des moments de la carrière, on ne doit plus être devant des élèves (…) c'est pas vrai qu'on peut jusqu'à 65 ans être devant des élèves de manière innocente. Ça dépend après des tempéraments, ça dépend des classes que l'on a face à soi, ça dépend de la réalité, mais quand on est dans une situation difficile, qu’on a des gamins turbulents, à 55 ans, on en a marre, on est usé et donc, il faut pouvoir avoir un job en rectorat ou dans des fonctions où on sera moins exposé aux élèves. Il y a d'autres endroits où c'est beaucoup plus plaisant. Les profs ont des classes plus réduites. Ça se passe mieux. Ça, ça s'apprécie, ça s'appelle gérer une carrière. Ça s'appelle faire de la gestion des ressources humaines. On l'a fait insuffisamment. On doit réinventer (…) » (source : https://www.elysee.fr/)

55 ans, c’est justement mon âge depuis quelques semaines. Je ne sais pas si ma situation peut être qualifiée de « difficile » ni mes élèves de « gamins turbulents », mais commence à me demander combien de temps encore il me sera possible de continuer à exercer ce métier au niveau d’exigence qu’il me semble impliquer, tout particulièrement en termes de disponibilité et d’énergie. Faudrait-il se résigner à réduire la voilure quand il s’agit au contraire d’accueillir chaque jour davantage – de plus en plus et de mieux en mieux – un vent qui est moteur, vie, Esprit ? Impensable ! Quant à me reconvertir vers « un job en rectorat », voilà qui ne me tente guère… pas plus que d’être « moins exposé aux élèves », sauf à entendre dans cette formule des façons de les prendre en charge, de leur être utile, différant du schéma classique : un groupe ou une classe entière, dans une salle, pendant une heure. Certes, le quotidien ne se réduit pas, loin de là, à la situation qui consiste à « être devant des élèves », mais celle-ci occupe malgré tout une position centrale, dans l’organisation du travail des enseignants ainsi que dans les représentations communes.

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D’autres pistes ne pourraient-elles pas être envisagées jusqu’aux 65 ans mentionnés par le chef de l’État, offrant des alternatives fécondes et épanouissantes à l’exercice traditionnel du métier qui a prévalu jusque-là dans ma carrière ?

Proposer aux collègues débutants un accueil et un accompagnement dignes de ces noms, en pouvant, par exemple, aller les observer – mais aussi dialoguer avec eux – à tout moment opportun sans devoir procéder à d’acrobatiques contorsions d’emploi du temps, voire à y renoncer lorsque ceux-ci se révèlent trop peu compatibles (dilemme récurrent des tuteurs pédagogiques). Pouvoir aussi considérer qu’une seule année de tutorat n’est pas nécessairement suffisante et que le passage d’un service de stagiaire à un service complet peut nécessiter un compagnonnage prolongé.

Mettre en œuvre d’autres formes très diverses d’accompagnement de collègues, pour des sorties par exemple (non seulement le jour même de la sortie, mais aussi au cours de sa préparation) ou lors d’entretiens avec des élèves ou des parents qui s’annoncent délicats, voire tendus. Pour des temps d’interventions conjointes permettant de mieux souligner certaines articulations entre disciplines et de donner davantage de sens aux apprentissages ou bien, dans une même matière, favorisant la pratique d’activités différenciées tout en guidant plus efficacement les élèves dans leur acquisition progressive d’autonomie. Pour coordonner notre équipe disciplinaire et l’aider en particulier à mutualiser ses ressources pédagogiques (chez nous, ce n’ont pas été les bonnes intentions qui ont manqué en ce domaine, mais le temps nécessaire à les rendre opérationnelles pour des partages utiles, pratiques et durables) ; pour assurer aussi une veille attentive « sur la Toile », une exploration régulière et méthodique des richesses d’internet.

 

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Faire vivre des dispositifs d’aide, de secours (de relèvement ?) aux élèves « noyés ». Combien de fois, entre collègues, avons-nous regretté de ne pas pouvoir offrir temporairement aux « perdus en mathématiques » un havre de confort et de sérénité où il aurait été possible de prendre les choses différemment, en partant de leurs histoires avec la discipline, de leurs perceptions, de leurs aptitudes souvent insoupçonnées ! Un espace pour accueillir, pendant les heures officielles et en parallèle des cours inscrits dans l’emploi du temps, Adil qui n’imagine pas et ne peut donc pas énoncer le résultat de la multiplication de 24 par 10, Hawa qui pense que 1,30 est plus grand que 1,3 puisque 30 est plus grand que 3, Inès qui avoue que les lettres (et surtout « x » le terrible !) la paralysent et l’embrouillent depuis toujours, Thomas qui n’arrive pas à partager un disque-gâteau en trois parts à peu près égales, Sara qui écrit sur sa copie de géométrie que « le triangle ABCD est rectangle en E ». Jeunes sérieux et motivés, mais égarés dans des cours de niveau Seconde qui, à l’évidence, ne peuvent rien leur apporter d’autre que la confirmation éclatante d’une irréversible « nullité », compagne parfois douloureuse d’années déjà nombreuses d’incompréhension, d’abandon, de dissimulation, de révolte aussi. Diverses expériences engagées ces dernières années ont prouvé leur pertinence, mais généralement sans lendemain faute de disponibilités (et non faute de moyens pour les rétribuer).

Assurer un lien régulier et constructif avec les trois collèges dont est issue la quasi-totalité de nos élèves (permettre des rencontres, des échanges, des visites) mais aussi avec des écoles primaires et maternelles. Là encore, de timides tentatives de réunions entre pairs ont montré la richesse de tels moments et révélé le désir partagé de réfléchir ensemble sur les notions mathématiques qui se déploient « de la maternelle à l’université ». Mais l’impossibilité de trouver du temps pour les organiser de façon respectueuse des personnels et en tenant compte des différences administratives entre le premier degré et le second en a vite eu raison…

Il faudrait aussi évoquer le club de maths, disparu pour n’avoir plus trouvé d’animateur ; l’internat « éducatif », qui n’a pas les moyens de l’être ; le « jardin des mathématiques » que l’équipe municipale souhaite créer ; bien des rêves, qui auraient des chances de devenir réalités si des enseignants pouvaient leur consacrer un temps de service et non d’hypothétiques bribes aléatoirement volées à des vies personnelles et professionnelles déjà abondamment remplies.

 

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Voilà de quoi, me semble-t-il, occuper utilement et pleinement quelques années de fin de carrière (éventuellement au terme d’une période de mutation progressive des activités et d’une évolution corrélative du temps de présence au lycée). Une façon aussi de reconnaître que, contrairement à certains dogmes instituant la suprême efficacité d’une mobilité régulière et contrainte, l’ancienneté dans un établissement peut avoir permis d’acquérir à la fois une expérience, un statut et des éléments d’expertise sur lesquels s’appuyer pour mener à bien des tâches particulières, adaptées aux personnes et aux lieux, validées par la « communauté éducative » comme relevant de l’intérêt général et reconnues par l’institution en vertu du principe de subsidiarité. Mais en ne faisant surtout pas d’initiatives locales mûries et élaborées dans des contextes particuliers des normes ou des « bonnes pratiques » qu’il s’agirait d’imposer ailleurs !

Moi qui voulais parler un peu du confinement… Nous en sommes bien loin, même s’il a sans doute favorisé ces divagations. Il faudra donc y revenir prochainement, après un week-end pascal peu ordinaire !

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