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Ce que vous avez fait aux plus petits

15 janvier 2017 By

Face à une mobilisation croissante, un silence assourdissant...

            Elle s’appelle Corinne, il s’appelle Jean-Marc, tous deux secrétaires de section syndicale Sgen à Marseille, respectivement en lycée professionnel et en lycée général et technologique. Leur lettre m’est parvenue il y a quelques jours, alors qu’un mouvement national de lycées concernés par l’éducation prioritaire prend de l’ampleur sans recevoir aucune réponse directe du ministère sur ses demandes et interrogations. La voici :

 

Chers collègues de l’Éducation nationale,

Depuis des mois, de nombreux lycées sont mobilisés à l’idée de sortir du cadre de l’Éducation prioritaire. Doit-on en conclure que la situation des populations scolarisées dans ces établissements s’est à ce point améliorée ? Nous le souhaiterions tous du fond du cœur mais, malheureusement, notre quotidien se dégrade chaque année davantage, les difficultés socio-économiques, les disparités culturelles et linguistiques font des ravages malgré un investissement sans pareil des personnels de ces établissements.

Certes, nous ne représentons que peu de lycées et c’est heureux. Certes, nous ne regroupons que peu d’enseignants. Certes, nous ne scolarisons que peu d’élèves, mais les plus fragiles et concentrant de nombreuses difficultés. Certes aucun puissant, faiseur d’opinion, dirigeant, homme ou femme politique de notre beau pays n’a ses enfants dans nos lycées et cela est bien triste.

L’ensemble de la profession connaît ou imagine la difficulté de notre mission rendue encore plus périlleuse ces derniers temps. Personne ne nous envie nos primes et bonifications, jamais perçues comme indues.

Pourtant ! Malgré l’évidence de nos arguments civiques, républicains et humains, malgré le ridicule de nos demandes au regard du budget global de l’Éducation nationale, malgré notre combat pour une société qui ne laisse personne au bord de la route, qui se doit selon nous de corriger les déséquilibres qui minent notre démocratie, le gouvernement nous ignore d’un mépris inacceptable.

 

Zep 1

 

Est-ce la force de nos valeurs et revendications qui l’interpelle ou bien un rapport de force que nous sommes dans l’impossibilité d’instaurer et qui ne relève pas de nos intentions ?

Nous parlons le langage du cœur mais aussi de la raison, on nous renvoie nombre de grévistes et économies de bouts de chandelles.

Quand on pense au mépris dans lequel on nous tient quand les sommes engagées sont aussi ténues, que devons-nous attendre, chers collègues, quand des arbitrages plus conséquents et touchant toutes nos professions seront rendus ?

 

Chers collègues, comme je vous comprends ! Dans mon établissement aussi montent l’inquiétude et la colère. Inquiétude car depuis quelques années, chaque rentrée s’accompagne d’une augmentation des effectifs et d’une diminution des moyens – comme si notre lycée quittait progressivement l’éducation prioritaire pour rejoindre le lot d’établissements au public plus favorisé. Colère car depuis près de quatre mois et malgré une mobilisation croissante, la ministre semble n’accorder aucune importance aux questions posées par le collectif (Tpmz : Touche pas à ma Zep) qui s’est constitué. Au fil des journées d’action et de grève, le ministère communique, par petites touches, sur les indemnités et sur les barèmes de mutation – mesures qui ne concernent d’ailleurs que certains personnels – alors que les points les plus importants sont évidemment les effectifs par classe et les moyens, horaires et humains, permettant la mise en œuvre de dispositifs pédagogiques spécifiques. Cette communication pointilliste et décalée laisse tristement penser qu’aucune politique cohérente n’est à l’œuvre et que si certains collègues n’avaient pas sonné l’alarme, le ministère n’aurait jamais honoré son intention pourtant affichée de se consacrer sérieusement à la question de l’éducation prioritaire en lycées.

 

ZEP Champigny

 

Que déduire de ces façons d’agir, ou plutôt de ne pas agir ? Que le ministère refuse d’ouvrir un chantier huit mois avant une élection présidentielle sous prétexte que la continuité politique n’est pas assurée ? Qu’à l’exact opposé des belles paroles déversées au fil de ses récents vœux, la ministre se moque pas mal des enseignants qui travaillent au quotidien dans les établissements les plus difficiles ? Qu’elle ne considère pas ces enseignants dignes d’une rencontre, d’un dialogue, d’un débat ? Qu’elle cède aux sirènes du chantage au bulletin de vote en se livrant à des promesses appuyées pour un prochain quinquennat ?

 

Terrible leçon de non-courage politique ! Je rêve d’un(e) ministre osant une visite surprise dans un établissement classé Zep – ou Zus, ou Politique de la Ville, ou Plan violence, ou REP, ou RAR, ou DERS, ou Espoir banlieue, ou Eclair, ou… (S’il y a bien un point sur lequel le ministère n’est pas avare c’est celui des sigles, labels, classements, qui se succèdent, s’empilent, s’entremêlent, en une décourageante complexité.) Oui, une visite à l’improviste pour s’immerger une journée entière dans un lycée « défavorisé » (toute dernière terminologie officielle), depuis l’arrivée des agents au petit matin, qui remettent en état des salles de classe ayant parfois pas mal souffert, jusqu’à la fermeture complète, après qu’il aura fallu renvoyer chez eux les irréductibles élèves travaillant sur place autant qu’on le leur permet, sachant que toute tâche scolaire est impossible chez eux. Une visite sans la cour habituelle de conseillers et journalistes ; une visite sans fard ni apprêts pour découvrir un quotidien dans sa complexité ; une visite pour écouter, dialoguer, prendre le temps de la rencontre et de l’échange ; une visite sans message ni arrière-pensée ; une visite qui prendrait le risque de l’inattendu et de l’émotion. Je rêve d’une visite "évangélique", honorant les petits, les pauvres, les oubliés, les malades…

 

ZEP Marseille

            Aux dires de collègues de la région, il y avait bien longtemps que Marseille n’avait pas connu une telle convergence syndicale sur un problème touchant à l’École. Cette union rare pour défendre les plus faibles finira-t-elle par trouver un écho positif et constructif en haut lieu ? Chère Corinne, cher Jean-Marc, je le souhaite de tout cœur ! Car, chez vous comme chez nous, des ardeurs pédagogiques généreuses et des engagements altruistes s’émoussent ; des bonnes volontés se découragent ; des espoirs se ternissent. Bref, des équipes risquent de se disloquer suite aux coups récurrents portés à leurs conditions de travail ; et des établissements risquent tout simplement, avec leurs éléments les plus motivés, de perdre leur âme.

 

En post-scriptum, un pastiche rédigé par un collègue, clin d’œil au grand Victor, dont on peut penser qu’il n’aurait pas été indifférent au sort des ZEP.

 

Demain, dès l’aube, à l’heure où les cités s’éveillent,

Je partirai. Vois-tu, je sais ce qui m’attend,

À Nanterre ou à Dreux, à Forbach ou Marseille…

Je n’y puis en conscience enseigner plus longtemps.

 

Je pleurerai, amer, ce qu’était mon lycée :

Effectifs modérés, horaires suffisants,

Solides enseignants, équipes engagées…

Pourquoi avoir jeté l’Idéal au Néant ?

 

Je n’écouterai plus le vent du ministère,

Ni les discours brumeux qui de Paris s’élèvent ;

Rêverai d’une carte enfin prioritaire…

Bouquet de fol espoir offert à toi, Élève !

 

 

 

 

 

 

 

 

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