Pourquoi lenseignement public

vendredi, 23 janvier 2015 00:00

Etre ou ne pas être Charlie

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ou du bon usage de la dérision

            Depuis les attentats du 7 janvier dernier, beaucoup de gens ont affiché une identité de solidarité, le plus souvent sous la forme "Je suis Charlie", mais aussi quelquefois "Je ne suis pas Charlie", voire "Je suis Coulibaly". Conflit de positionnement politique, au sens le plus fondamental du terme, en l'espèce une autre manière de dire soit "La liberté d'expression est sacrée", soit "Vous êtes tous racistes (ou antimusulmans)". Mais ensuite les rassemblements du 11 janvier ont été très réconfortants, en ce qu'ils ont exprimé de la part du peuple français une condamnation sans équivoque du meurtre idéologique et la volonté d'y résister qui en ont été le message essentiel.

Cependant, même si cinq millions de personnes ont défilé partout en France, cela laisse encore une grande majorité de la population parmi les abstentionnistes. Et parmi ceux-là, une forte proportion de gens qui auraient volontiers exprimé leur solidarité avec les victimes des attentats et leurs familles, autant que leur désir de défendre la liberté d'expression, mais n'approuvaient pas la manière dont Charlie-Hebdo en usait ; et ces derniers ont été encore plus attristés des réactions – et surtout des victimes – dans le monde musulman à la suite de la publication du nouveau Charlie-Hebdo et particulièrement de sa "une". Pas étonnant que le Pape François ait jugé bon de poser des limites à cette liberté, au moins dans le domaine religieux ; et c'est cet aspect de la question que je voudrais aborder ici.

Il y a bien des façons d'aborder la question de la liberté d'expression. Au lendemain du 7 janvier, des articles bien documentés ont fait leUne charlie point des procès intentés à Charlie-Hebdo, et des nombreuses relaxes qu'il a obtenues. Il en ressort qu'en droit français, seule l'incitation à la haine (mais que l'humour est censé atténuer) ou la diffamation personnelle sont légalement punissables ; c'est dire que la dernière "une" de Charlie-Hebdo ne tombe évidemment pas sous le coup de la loi. Pour une personne de culture française, elle est même plutôt gentille, et le sourire qu'elle provoque plutôt attendri.

Comment alors comprendre ces émeutes et ces victimes d'un bout à l'autre du monde musulman ? Certes, il n'y manque pas de politiciens bien placés et influents pour souffler sur les braises en faisant connaître ces dessins à des gens qui normalement n'en auraient jamais entendu parler ; mais par ailleurs les rédacteurs de Charlie-Hebdo semblent curieusement aveugles à la mentalité musulmane majoritaire, dont l'humour n'a rien de commun avec le nôtre, mais qui surtout respecte en général au pied de la lettre l'interdiction de représenter Dieu ou le Prophète ; et pour elle, le faire sous forme de caricature n'est pas une excuse. Cela vaut aussi bien dans nos banlieues qu'au Pakistan ou au Niger, même si on peut considérer que dans un pays occidental, cette mentalité est moins clairement majoritaire, et ceux qui sont blessés moins enclins à réagir par la violence.

Ils sous-estiment sans doute aussi l'humiliation de nombreux musulmans dont les pays ont été découpés, dominés, colonisés et exploités depuis plus d'un siècle, au Proche-Orient, en Afrique ou en Asie. Les occidentaux n'ont jamais eu beaucoup d'égards pour ces populations, préoccupés qu'ils étaient d'abord d'assurer leurs sources de pétrole ou de matières premières. Et dans un tel contexte, les caricatures de l'Islam apparaissent comme une provocation supplémentaire de la part d'occidentaux considérés comme des ennemis.

      

Évidemment, ces journalistes portent bien haut le flambeau d'une tradition libertaire de satire de la religion qui remonte à la Révolution, voire plus loin. Mais ils ne semblent pas se rendre compte que c'est une tradition purement française – que même nos amis anglo-saxons ne connaissent pas sous cette forme, eux qui sont si sourcilleux sur la liberté d'expression ; ni surtout qu'elle est incompréhensible à l'immense majorité de la population mondiale, musulmane ou non, qui même quand elle a pris des distances à l'égard de sa religion conserve envers elle une attitude de respect, au besoin contraint dans les régimes non démocratiques qui subsistent encore aujourd'hui, et qui sont quelquefois nos "amis" et nos financeurs.

Ils ne semblent pas réaliser que leur combat contre l'Église catholique depuis la Révolution se déroulait à l'intérieur d'une société homogène et d'une culture commune, et que la diffusion de la presse n'est plus limitée au territoire national, comme elle l'était à cette époque. Ils étaient les ennemis de l'Église, certes, mais parce qu'ils avaient avec elle une langue et une culture communes, ils ont paradoxalement contribué à la faire évoluer et à lui faire admettre certains de ses torts, ce qu'ils peuvent difficilement espérer dans un monde apparemment globalisé, mais où les cultures restent largement diverses. La dérision, malgré la violence qu'elle véhicule, peut en fin de compte se révéler bénéfique dans une société culturellement homogène, peut-être pas pour faire disparaître la religion, ce que certains d'entre eux espèrent visiblement, mais au moins pour l'aider à corriger ses défauts et la rendre moins anachronique. Par contre, dans un contexte de mondialisation de l'information, mais pas des cultures ni des modes de vie, il est vain d'espérer qu'elle ait un tel effet ; elle risque plutôt de déclencher des violences difficilement contrôlables en réaction à ce qui est perçu comme des humiliations répétées.

Enfin, dans toute société civilisée s'impose le respect des personnes. Pour un tribunal français, certes, ce ne sont pas les personnes musulmanes qu'attaque Charlie-Hebdo, mais la religion musulmane ; mais pour pouvoir raisonner ainsi, il faut vivre dans un état de droit – la France par exemple – et avoir intégré des distinctions qui sont incompréhensibles encore aujourd'hui pour la grande majorité de la population mondiale. Ce qui fait que quand Charlie-Hebdo brocarde le Prophète, ce sont en fait les musulmans qui se sentent atteints, et qui se font un devoir de laver l'honneur de Mohamed. Sans lésiner sur les moyens…

Bien sûr, rien ne sert de rappeler aux gens de Charlie-Hebdo l'exigence chrétienne de respect des personnes et des consciences, car je ne pense pas que beaucoup d'entre eux se reconnaissent chrétiens ! Mais il nous revient, en tant que tels, de rappeler cette exigence en écho aux propos du Pape François.

Nous vivons dans un monde beaucoup plus compliqué que celui des années 1930 – pour ne pas dire 1850 ; il serait bon de ne pas l'oublier, et de ne pas jouer les apprentis sorciers en attaquant de front la religion d'autrui. Que ce soit par le jeu naturel d'Internet ou à cause de la duplicité d'intégristes fanatiques, il n'est plus grand-chose aujourd'hui qui reste confiné en un lieu donné ; cela impose une vigilance encore plus grande sur notre manière de gérer la liberté d'expression, pour qu'elle soit non seulement en accord avec le droit français, mais ne risque pas non plus d'entraîner des massacres là où on pratique si volontiers tous les amalgames possibles !

Je suis sûr que toutes ces considérations auront leur place dans le débat pour relancer Charlie-Hebdo autour des survivants du massacre et de ceux qui viendront les rejoindre.

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