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mercredi, 14 janvier 2015 00:00

Aujourd’hui j’ai encore aimé mon métier…

Écrit par

L'attaque du 7 janvier 2015 contre Charlie-Hebdo a suscité de nombreuses réactions, mais aussi de nombreuses initiatives.
Le témoignage de Philippe ci-dessous est certainement représentatif de cette situation.

France Info dans la voiture : ça continue, encore une journée grise et tremblante.

J’arrive à la récréation de 10h, les élèves dans la cour du lycée sont en train de prendre une photo hommage, vêtus du blanc de la paix et munis de pancartes charliesques. Je longe les fresques de libre expression noircies d’émouvants messages. Des courts, des simples, des "Je suis Charlie", des billets bien écrits, des dessins joyeux…Trois ou quatre rares, tristes et inévitables ratures : un nullos « quenelle » aussi un bêta « Dieudonné » et un dérangeant « la liberté d’expression quand ça vous arrange »… Je me dis qu’il reste du boulot !

J’entre en classe. Salue les élèves de terminale. Leur lis la déclaration rédigée par les enseignants du lycée. Un grand silence. Des yeux rougis. Les miens aussi devant ceux de cette jeunesse attentive et émue. Je ne peux pas m’arrêter à la fin du message, je sens qu’il faut en dire plus. Je sens surtout que je vais flancher si je laisse un nano-silence.

Alors je raconte ma tristesse, l’importance pour moi de parler de cela avec eux, ce qu’est la liberté d’expression, ce que c’est que l’histoire qui recommence toujours pareille, les fanatiques s’en prennent en premier aux plus fragiles, aux défenseurs de paix et de tolérance. Que je peux comprendre qu’on puisse être blessé dans sa foi par un dessin ou des mots mais que l’on doit quand même se battre pour ce droit salvateur et garant de la liberté. Et surtout qu’il ne faut pas offrir le plus beau cadeau que quelques êtres à la dérive recherchent : fracturer et diviser une société dont ils se sentent ou se sont d’eux-mêmes exclus. J’explique que Charlie est un journal toujours premier dans la lutte contre le racisme, qu’un numéro sur ce thème se préparait, que l’arrogance de ces journalistes n’avait d’égal que leur humanité et leur douceur. Qu’il est bien cynique que deux policiers chargés de les défendre dans leur droit à se moquer des forces de l’ordre aient payé de leur vie cette grandeur de notre pays imparfait. Dans la classe, des hochements de tête approbateurs. Des pleurs. Des regards entre eux, qui en racontent des histoires… Il y a là la plus belle expression de la banlieue d’aujourd’hui : des Français bien blancs, des élèves musulmans, français descendants d’algériens, turcs, marocains, des Antillais, des Français descendants du Mali ou du Burkina, des jeunes originaires du Portugal ou d’Italie. Quelques élèves juifs. Les élèves savent que pendant qu’on parle il y a deux prises d’otages, dont une à deux pas d’ici Porte de Vincennes. La A86 voisine nous arrose de sirènes de pompiers et de police.

Je laisse la parole.

W.:  « Monsieur vous avez parlé d’extrémistes1, je n’aime pas ce mot, ils n’ont rien à voir avec ma religion»… ?.... Je ne comprends pas tout de suite. Echange. Je pige enfin.  « Tu as raison Wahil, on ne devrait pas dire islamistes, ces gens n’ont rien à voir avec l’Islam », il faudra inventer un autre mot.

J’explique l’étymologie de religion, religare, et du mot secte, secare. Un élève : « Ma religion me dit d’aimer mon dieu, Allah, mais je sais que c’est le même que le dieu des chrétiens et des juifs ». Moi : « oui, tous là sans trop savoir pourquoi, différents des animaux parce qu’on sait que notre passage est éphémère, mais aussi différents parce qu’on a la chance de pouvoir chanter, danser, apprendre, et… dessiner… se relier, religare ». « Ne laissez pas la haine et la peur s’emparer de vos belles personnes. » J’explique l’étymologie en « phobie» des mots comme xénophobie. Crainte et haine, les deux complices. Les élèves acquiescent, ils connaissaient pour la plupart.

Un élève : « Marine Le Pen veut rétablir la peine de mort ». Un autre : «  qu’ils crèvent, ces deux salauds ». Moi : «si on s’en prenait à mon enfant j’aurais la même haine, même envie de mort individuelle. La force de l’homme en société, c’est de différencier l’émotion personnelle et la grandeur du collectif. L’abolition de la peine de mort c’est comme le droit d’expression, il n’y a pas de demi-mesure, c’est à prendre en entier ou pas du tout. » Des sourires. Ou des moues.

Un élève demande :  «mais pourquoi toujours des islamistes». Je rappelle (comme je peux…) l’histoire, la décolonisation, les conflits au Moyen-Orient, dans le Golfe, en Irak, en Afghanistan. Je rappelle aussi les heures sanglantes de l’Inquisition, je rappelle que Rabin a été assassiné par un juif extrémiste (là aussi il faudrait trouver un autre mot).

Je provoque: « c’est drôle qu’ils ne se soient pas plutôt attaqués au FN qui s’oppose à la construction de mosquées ». Echanges. Une élève musulmane: « Normal ils se rejoignent, ils ne sont pas là pour défendre le Coran mais juste leur gueule de tarés ». Echange sur l’extrême droite. Je sens certains élèves mal à l’aise. J’explique que ma plus grande tristesse, c’est que dans cette société dont je suis chargé de participer au scellement de la fraternité et de l’intelligence collective, des gens se sentent exclus et désoeuvrés à ce point pour se radicaliser dans le terrorisme. Que c’est dur pour moi, un sentiment d’échec professionnel. Que je connais des gens qui votent Front National, et qu’il s’agit souvent de gens qui se sentent abandonnés par tous les bien-pensants, qu’il faut veiller plus que jamais à ne pas exclure et dédaigner quiconque. Je cite mon René-Char-à-peu-près : « Il n’y a pas de fin, que des moyens à perpétuité ». On en discute. Certains notent.

Un élève bouleversé s’exclame : « mais pourquoi faut-il toujours s’en prendre à certains, à des communautés, au nom d’une idéologie ?! ». Je cite (comme je peux encore) René Girard, La violence et le sacré, Le bouc-émissaire. Des élèves notent le blase des bouquins, « wesh ça a l’air frais ». Rires.

On parle de la laïcité. Un élève athée «  c’est dommage tous ces rites différents selon les religions, ça fout la merde ». Un autre « ma foi, c’est pas les rites ». Une autre : « moi je trouve ça normal d’entendre sonner les cloches d’église et d’en voir partout, c’est normal on est en France, y a une histoire ; c’est juste dommage que certains ne veulent pas qu’on nous construise quelques mosquées ». Je ne dis rien.

On évoque le problème « peut-on rire de tout », on évoque l’inévitable Dieudo, j’essaie de faire des distinguos en contextualisant, pas facile.

Je choisis de leur montrer quatre caricatures de Charlie que j’hésitais à sortir de mon sac. Là, je le sens, alors… Il y a là la célèbre « c’est dur d’être aimé par des cons », une autre avec « le FN a changé » et l’inscription « mort aux bougnoules » remplacée par « mort aux gens de couleur », une troisième « le dîner de cons », une Cène avec Jésus entouré d’intégristes catholiques (qui voulaient censurer Golgota Picnic), une dernière avec un rabbin radin à propos du conflit israélo-palestinien. Pas de hurlements ni de scandale, on les commente doucement, on prend le temps. J’explique à W. : « tu vois « c’est dur d’être aimé par des cons » dit exactement la même chose que toi tout à l’heure à propos de ceux qui détournent ta religion. »

Ça sonne. Je remercie les élèves de leur écoute respective, de leur intelligence, de leur participation. Ils sortent en silence. Il y a des yeux encore humides. Et des sourires. De nombreux : « au revoir monsieur, merci beaucoup ». Aujourd’hui, j’ai encore aimé mon métier (même si Isaac Newton et Galilée attendront le prochain cours). Avec le privilège de recevoir une telle énergie de mes élèves de terminale. Et de me sentir étoffé de leur humanité.

J’avais besoin de l’écrire, et d’allumer cette loupiote, dérisoire en cette violente journée.

Philippe
Professeur de physique chimie
Fontenay-sous-bois (94)
Vendredi 09 janvier 2015

1 : NLDR - il faut probablement lire "islamistes"

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